L’Herbe de l’oubli de Jean-Michel d’Hoop
L’Herbe de l’oubli – Le Théâtre de Poche propose un retour sur la catastrophe de Tchernobyl aussi interpellant que glaçant.
Le 6 avril 1986, le réacteur numéro quatre d’une centrale située dans la ville de Pripiat explose et prend feu. Mais c’est le nom de Tchernobyl qui est resté. Plus de trente ans plus tard, en Ukraine et bien au-delà, il rime toujours avec la dévastation, la peur, l’horreur. D’ailleurs, Tchernobyl, en russe, signifie « absinthe » – l’herbe de l’oubli. La pièce présentée au Théâtre de Poche, au cœur du verdoyant bois de la Cambre à Bruxelles, repose sur des témoignages d’habitants qui étaient là, proches de la centrale, le jour de l’accident. Des survivants, des vies en sursis. Car les poussières, les aérosols et surtout les gaz radioactifs qui ont été projetés dans l’atmosphère ont changé à jamais le cours de leur existence. Depuis cette date fatidique, maladies, fatigues chroniques et anxiété ont gangréné leur quotidien. D’un jour à l’autre, il ne fallait plus manger les légumes du potager, interdire aux enfants de se rouler dans l’herbe, de barboter, l’été, dans les rivières aux alentours. Le monde entier, l’environnement auparavant si clément, s’est transformé en danger permanent. Mais à part les arbres, soudain dotés du couleur orangée, comme brûlés, rien de bien concret ne venait le leur rappeler. C’est de ces changements-là dont font part tous les témoins, qui, malgré tout, ne sont pas partis. Parfois car ils ne le pouvaient pas, souvent car ils ne le voulaient pas.
Angoisses, souvenirs et questionnements
Dans L’Herbe de l’oubli, problématiques scientifiques comme politiques sont abordées d’un point de vue humain, sensible. À l’image de ceux récoltés par le prix Nobel de Littérature en 2015 Svetlana Alexievitch dans son ouvrage « La Supplication », les témoignages partagés avec le public sont marquants tant par leur diversité que par leur dureté. Il y a cette femme qui peine à joindre les deux bouts et qui ne semble même pas avoir le temps de se pencher sur les dangers qu’elle encoure tant son travail est prenant. Il y a cette doctoresse qui sait les effets du césium et de l’iode sur un corps humain, cette jeune femme enceinte au moment de l’accident… Il y en a tant d’autres, trop d’autres. Pour tous, angoisses, souvenirs et questionnements sont de mise. Des marionnettes viennent appuyer leurs sombres récits. Et quelles marionnettes… Des chiffons usés, gris, des personnages qui respirent la mort. Qu’elles font peur, ces poupées froissées. Elles se meuvent, dans un décor noir, sous les poutres apparentes d’une maison en bois en ruines. Elles représentent toutes les générations, des vieillards aux petits enfants, et le rappellent, une fois encore, avec amertume, et dans la douleur : Tchernobyl n’a épargné personne. Le devoir de mémoire, voilà ce qu’elles incarnent, ces silhouettes-là.
L’Herbe de l’oubli
Ecriture et mise en scène : Jean-Michel d’Hoop (assisté de François Regout)
Avec Léone François Janssens, Léa Le Fell, Héloïse Meire, Corentin Skwara et Benjamin Torrini
Marionnettes : Ségolène Denis (assistée de Monelle Van Gyzegem)
Crédit photos : Véronique Vercheval
Jusqu’au 3 février, du mardi au samedi à 20H30, au Théâtre de Poche
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