Souvent inspiré par le conte et l’oralité, le théâtre africain a aussi développé une pluralité de formes artistiques d’une grande richesse. Ainsi, le togolais Gustave Akakpo s’attaque à un sujet grave : la situation des femmes dans une société traditionnelle patriarcale, par l’intermédiaire d’une farce surprenante qui lorgne vers Goldoni et Marivaux.
C’est l’opposition métropole-village qui enclenche de suite les enjeux avec l’histoire de cette jeune fille de la campagne qui consomme avant son mariage arrangé avec un jeune étalon (excellent Gregory Alexander) de retour de la ville, plus exactement de la France, pays mythique « où les hommes cuisinent ». Ce coup de reins fatal va embraser et bousculer la relative tranquillité d’une organisation solidement arrimée aux coutumes claniques ancestrales.
Il est bien entendu largement question de sexualité, tabou ultime, car c’est l’axe de transmission du changement, donc du désordre, dans l’esprit étriqué des chefs du village. La grande peur des Anciens, c’est bien entendu celle de voir le gouvernement s’immiscer dans les affaires privées de la communauté. La jeune fille qui s’est laissée charmée par un sorcier en costume doit donc subir le châtiment de la lapidation pour bien montrer que la petite bourgade n’a besoin de personne pour maintenir l’ordre.
C’est à la tradition de servir l’homme et non le contraire…
Le propre de la comédie est de faire se rencontrer les contraires. Les protagonistes, hommes comme femmes, font preuve d’une sexualité exaltée, que ce soit dans le corps ou dans l’usage d’un langage truculent. Le citadin va se travestir en femme moderne pour tenter de sauver celle dont il est amoureux, donnant lieu à des quiproquos hilarants, notamment lorsqu’il est victime de harcèlement de la part d’un jeune homme du village particulièrement excité joué par…une des comédiennes. Ces transformations constantes (la grande sœur qui se déguise en religieux, fausse barbe à l’appui) préparent avec humour, en restreignant progressivement la virilité exacerbée de la plupart des mâles, à la transmutation attendue de cette localité villageoise.
Dynamique, énergique, sans temps mort, c’est avec une extraordinaire vitalité que les comédiens aux corps et visages très expressifs, font passer le message dans un décor orné de chatoyants tissus africains. Car ici, il n’est jamais question d’évoquer la lapidation autrement que par le rire. La metteuse en scène Ewlyne Guillaume, joue beaucoup sur les codes du boulevard, lorsque les têtes grimaçantes apparaissent derrière les rideaux pour écouter ce qu’il se dit, ou quand les comédiens déguisés subissent méprises sur bévues dans un vaudeville permanent. Il est remarquable de constater que la dérision du propos s’avère le meilleur des médicaments pour soigner les plaies de la sacro-sainte tradition.
A petites pierres
De Gustave Akakpo
Mise en scène de Ewlyne Guillaume
Avec Kimmy Amiemba, Nolinie Kwadjanie, Rosenal Geddeman, Belisong Kwadjani, Carlos Remie Seedo, Gregory Alexander
Lumières : Frédéric Dugied
Costumes : Antonin Boyot Gellibert
Crédit photo : Ronan Lietard
Durée : 1H05
Vu dans le cadre du Festival d’Avignon Off à La Chapelle du Verbe Incarné
Rejoindre la Conversation →