Ingmar Bergman se nourrit tellement d’imaginaire qu’il composa une autobiographie, fausse. Nourrie de souvenirs inventés, ce génie du cinéma, amoureux fous du théâtre, (se) livre dans Laterna magica à une introspection, qui, si elle est nourrie d’imaginaires n’en est pas moins un exutoire sur les douleurs d’enfance qui ne passent pas, aux évènements des jeunes années qui nous traversent autant que nous les traversons.
Lumière sur l’enfance
Dorian Rossel et Delphine Lanza font entendre la voix de Bergman non pas en tant que réalisateur mais en tant que jeune homme. On entre dans l’intimité de sa famille : la vie au presbytère, l’arrivée d’une petite sœur, les relations violentes avec son frère aîné, la froideur de la mère. Ni pathos, ni larmes, de l’humour au contraire. Celui de l’homme âgé qui revoit son enfance, en quoi elle est constitutive de ce qu’il est devenu. Ce qui est fascinant dans ce texte, d’une très grande poésie, d’une écriture ciselée, c’est d’assister, à rebours, à la naissance d’un artiste. Et de fait, la question se pose : voit-on le monde autrement parce que l’on est artiste ou bien devient-on artiste car on a vu, dès l’enfance, le monde autrement ?

La scénographie joue ici un rôle essentiel, elle est concrètement un partenaire de jeu pour les acteurs. Elle se compose d’une multiplication de surfaces de projections tant cinématographique que psychique. Du grand drap qui part du sol et s’étire vers les cintres aux six rectangles de contreplaqué qui y sont suspendus, ces espaces mentaux sont autant de possibles sur lesquels on peut se voir. Les apparitions et les disparitions des acteurs derrières ces écrans sont d’une grande simplicité mais laissent entendre l’éloignement, l’au revoir, les allers sans retours. Dans une lumière crépusculaire, nordique serait-on tenté d’écrire, les ombres se font plus grandes, plus présentes et surtout réelles. Mais la lumière est ce qui fait fuir les peurs comme le relate Bergman dans une très jolie anecdote où, enfant, il est enfermé dans un placard.
Au delà de la très grande réussite plastique du spectacle, force est de constater qu’il tient aussi, en grande partie, sur l’immense talent de son comédien principal. A l’entendre, on a repensé, ému, au tout jeune Michel Fau, l’exubérance en moins. Mais le lien se fait sur cette faculté à nous transporter, on sent le froid de l’hiver, la montée du désir pour une jeune femme, les questions obsédantes du créateur, tout cela par une syllabe tenue, un geste délicat, seulement esquissé. Fabien Coquil est un grand acteur, comme il y en a peu. Sur le fil délicat de la « fausse » confession, il exécute la partition du texte comme un interprète de génie le ferait de la musique. Souvent drôle, espiègle, jamais complaisant, n’allant jamais chercher les rires du public. Une leçon sincère du métier d’acteur.
On restera gré à Dorian Rossel et Delphine Lanza d’embrasser les possibles de la théâtralité. Dans cette décevante édition du festival, cette foi dans le théâtre, ses artifices, ses images, ses possibles est un souffle qui rassure.
- Laterna magica
- Texte: Ingmar Bergman
- Mise en scène: Dorian Rossel et Delphine Lanza
- Avec Fabien Coquil, Delphine Lanza et Ilya Levin
- Durée: 1h25
- Crédit photos: Carole Parodi
- Jusqu’au 23 juillet à 10h30 au 11 Gilgamesh Belleville
Rejoindre la Conversation →