
Festival Off d’Avignon : Le Tour de valse
Le Tour de valse – Un cadrage serré sur un couple qui s’embrasse, une union sur les planches. L’arrière-plan, l’arrière-scène, l’Histoire derrière l’histoire, demeurent encore cachés dans le noir. Un rouge de braise en tourne la première page, accompagné par le geste d’une main faisant vibrer les cordes d’un violon, et une autre battant au rythme de notes électroniques. Ce sont les premiers pas d’un tour de valse, parenthèse sans musique et anonyme de quelques dizaines d’hommes et de femmes enfermés dans des baraquements de camps de travaux forcés, à l’abri des regards.
Sibérie, 1953, quelques mois après la mort de Staline. Seule sur un banc, une femme écrit une lettre à l’attention de ses deux enfants. Elle est partie chercher son mari, arrêté sur dénonciation sept ans auparavant, considéré comme traître par une patrie qui « a besoin de ses morts » et déporté au camp de Taïchet. Kalia a promis à ses enfants qu’elle reviendrait avec Vitor, coûte que coûte, qu’elle le retrouverait. Ses yeux se noient dans son passé et se perdent sur un « trou de misères », reforment et revivent des épisodes de vie commune, des souvenirs de révolutions, d’instants heureux, de mariage puis de chemins qui se séparent.
La voie se creuse, déroulant le fil d’un « long cauchemar », depuis une traînée brûlante de rails, de trains qui s’arrêtent ou qui ne s’arrêtent pas, qui tuent sur leur passage les moustiques, les bêtes, comme les hommes. On ignore les prénoms des traîtres, ils sont pour la patrie des « Zeks » et ont des numéros pour unique identité ; quant à leurs femmes, elles sont réduites à des ennemies du peuple, condamnées à passer leur vie « plongées dans le vide de l’attente ». Vitor est l’un d’eux ; Kalia est l’une d’elles. Leur histoire se raconte en cases et en bulles, en plans cadrés et en images fondues et cinétiques, aussi puissantes que des gestes ; elle s’écoute dans peu de mots mais à travers des couleurs vives et incandescentes.
Le Tour de valse – Planches sur planches
Tiré de l’album de Denis Lapiere et Ruben Pellejero, Le Tour de valse est la voix mise en dessins d’une femme, Kalia, à la fois destinatrice de lettres qu’elle ne cesse d’écrire à son mari et à ses enfants et narratrice de sa propre histoire, sombrement mêlée à l’Histoire. L’album, comme le spectacle, se construisent au gré de ses souvenirs et des témoignages qu’elle recueille. Entreprise mémorielle, ils fixent sur papier et sur écran des fragments qui reviennent par à-coups, de silence, d’attente, d’oublis et de blessures.
La scène restera vierge, aussi blanche que la saison sibérienne. Le premier bruit, miroir du dernier, sera celui d’un train. Il trace une ligne qui s’écrit et se dessine ; il lui redonne un mouvement. De maisons de campagne froide au Goulag, jusqu’aux forêts et à ce lieu – ce tour de valse dans lequel hommes et femmes venaient s’oublier pour oublier – la musique de Tony Canton et de Jean-Pierre Caporossi rend les planches vivantes.
Aux instants de marches encadrées par la menace armée, les percussions saccadent les rythmes. Aux instants de drames de la séparation, les cordes viennent resserrer les profils des personnages, s’attardent sur les détails et répètent certains motifs, laissent parfois les dialogues de côté, proposant une autre lecture, intimant une seconde profondeur dramatique au scénario. Ce qui se voit, s’écrit, s’écoute et se lit par cette « mise en abîme » à prendre au pied de l’image, se grave pour que « rien ne se perde jamais ».
Le Tour de valse
BD / concert – d’après la BD éponyme publiée aux éditions Dupuis, coll. Aire Libre
D’après une idée originale de Tony Canton
Dessins / scénario : Ruben Pellejero, Denis Lapiere
Direction artistique : Tony Canton
Composition et arrangements : Tony Canton et Jean-Pierre Caporossi
Musiques : Jean-Pierre Caporossi ou Christophe Waldner (piano, claviers, machines) et Tony Canton (violon, samples, clarinette)
Voix off : Iryna Vayda
Jusqu’au 26 juillet à l’Espace Alya à 10h