
Des couteaux dans les poules : « Au commencement était le verbe »
Des couteaux dans les poules – Après Microfictions de Régis Jauffret, l’Acacia Théâtre poursuit son travail avec la première pièce de David Harrower, Des couteaux dans les poules. Un texte puissant qui esquisse au scalpel lexical la métamorphose d’une femme qui passe de l’obscurantisme à la lumière par la connaissance des mots et du moi.
A la campagne, les mots restent fonctionnels et sans fioriture. Le langage se fait pragmatique et rude, comme les travaux à la ferme. Des mots sans douceur pour un rapport de couple sans tendresse… Une réalité rustique des dialogues entre un laboureur et sa femme dont les journées sont rythmées par les corvées quotidiennes. Animalité grammaticale, les phrases mêmes semblent jaillir du sol, brutes dans leurs structures pour les rendre violentes et sans nuance. Mais derrière l’aridité des rapports, on devine un penchant pour la femme à la poésie. Sensible à la nature, sa féminité et sa sensualité tentent de s’exprimer sans trouver le mot juste. Le fermier, lui, reste, ostensiblement hermétique à cette amorce de changement, préférant la compagnie de ses juments. Elle trouvera finalement un guide en la personne du meunier, figure détestée du village entier qui en fait un sorcier. La différence fait peur et engendre la haine. La curiosité de la femme surmontera ces superstitions primaires dans un apprentissage de l’écriture qui redessinera son horizon.
Des couteaux dans les poules – Les mots pour le dire
« Tout ce que je dois faire c’est pousser des noms dans ce qui est là, pareil que quand je pousse mon couteaux dans une poule. » Il y a du Faust dans cette pièce où la signature de la femme par son nom sur le papier se mue en pacte avec Gilbert le meunier et lui donne accès à la connaissance. Le Mythe de la caverne n’est pas loin non plus, auréolé d’une vision un peu mystique où Dieu rejoint la nature pour relier la femme à la prescience de l’univers. Ce jeu d’ombre et de lumière se retrouve habilement dans la mise en scène de Jean-Camille Sormain avec un espace façonné par la lumière et avec également l’utilisation des vidéos projetées en arrière-plan, qui éclairent, pour certaines, l’action, ou donnent des indications sur la temporalité.
Un plateau presque aussi nu qu’un langage sans artifice qui met en valeur le jeu puissant des comédiens s’appuyant sur cet espace en page blanche à noircir de leurs empreintes. Catherine Creux, Alain Azérot, Jean-Philippe Pertuit, un trio à couteaux tirés pour servir une pièce qui dénonce les préjugés menant à l’hostilité et à l’ostracisme, alors que c’est justement la rencontre avec l’autre et la richesse des différences partagées qui mèneront la jeune femme à se libérer de ses ornières par l’écriture.
Des couteaux dans les poules
De David Harrower
Traduction : Jérôme Hankins
Mise en scène : Jean-Camille Sormain
Avec Catherine Creux, Alain Azérot, Jean-Philippe Pertuit
Création lumière : Philippe Didier
Durée : 1h30
Jusqu’au 26 juillet (relâche les 8, 15, 22 juillet) à l’Arthéphile à 11h45