
Kokdu de Jungnam Lee
Kokdu – Le festivalier, dans son périple de salles en salles, aura certainement vu passer, remontant la rue de la République jusqu’à la place de l’Horloge en plein cœur d’Avignon, un défilé de danseurs en costumes amples et colorés – certains masqués, d’autres chapeautés, toutes et tous arpentant les artères citadines dans un rythme saccadé. Les membres de cette joyeuse troupe sont ceux de la compagnie presque trentenaire MAC Théâtre, venue présenter sa nouvelle création, Kokdu.
De chaque côté d’un seuil planté en plein cœur de la scène, les enfants d’une même famille se déchirent entre deux cérémonies d’offrandes et trois danses rituelles. La mère de la maisonnée, grandement malade, le dos recourbé et la démarche claudicante, vit ses dernières heures. Entre ses fils et ses belles-filles, ce sera à qui s’emparera de son testament pour le tourner en sa faveur, à qui se partagera la moindre parcelle du patrimoine familial. Mais c’est sans compter sur les esprits et les messagers de l’autre monde, « Kokdu » et autre « Jeoseungsaja », qui leur apparaissent en ombres et en chair, prenant même place au milieu d’un public devenu complice, blâmant les deux camps et punissant les facétieux de leur cupidité.
Kokdu – d’un monde à l’autre
Pièce appartenant au répertoire classique du théâtre coréen, Kokdu se compose de sept actes consacrés à ces « compagnons de l’âme ». Depuis l’ouverture de la porte de l’au-delà jusqu’au décès de la mère, dans un vocabulaire très codé, la scène joue d’illusions et de mises en abîme. Elle représente ainsi à la fois l’espace mental d’une vieille dame sénile et délirante qui ne cesse de demander de la nourriture et de cracher à tout-va, le sol du monde des humains, chacune des pièces ou des éléments de la maison de famille dans lesquels les esprits demeurent (cuisine, porte, toilettes…), mais aussi le toit de cette même maison. Sur ce dernier, le « kut », rituel chamanique destiné à apaiser l’âme des défunts pour les guider dans l’autre monde, pourra finalement être accompli, après maints cauchemars, visions hallucinées, blâmes, petites et grandes batailles.
Multipliant les saynètes burlesques et drolatiques durant lesquelles les acteurs et danseurs virevoltent au martèlement de tambours tout en faisant tournoyant les langues (entre deux disputes, quelques mots prononcés en anglais et en français s’immiscent dans le coréen, en clins d’œil), les actes de Kokdu se lisent comme autant de tableaux vivants et éphémères, d’une extrême virtuosité. Entre attachement au réel et plongée dans le fantastique, le passage du monde des hommes à celui des esprits – tout aussi protecteurs que malicieux – se déploie dans une gestuelle enlevée, puis à travers quelques chants et cérémonies rituelles. Le mélange des genres semble sans fin, touchant ici à l’art cinématographique via des chorégraphies exécutées au ralenti, là aux arts martiaux, là encore à la pantomime, empruntant également aux croyances religieuses (le chamanisme étant une pratique culturelle encore très présente en Corée).
Le chemin de la mère vers l’au-delà n’est pas sans embûches, artifices hilarants et touches mélancoliques. Il est parsemé de rêves et de cauchemars, de mains et de masques d’esprits qui viennent la hanter, et de parenthèses étranges et inquiétantes, jusqu’à ce que la toile blanche soit enfin coupée, indiquant la séparation finale des deux mondes. La pièce permet à Jungnam Lee de rendre vivantes ces « kokdus », ces petites figurines spirituelles en bois placées, selon la tradition, sur le palanquin funéraire, à travers un spectacle d’une prouesse technique aussi prodigieuse que le sujet dont il traite.
Kokdu
Auteur / metteur en scène : Jungnam Lee
Chorégraphe : Soona Hong
Décorateur de théâtre : Youngwoo Nam
Création lumière : Jakyung Seo
Compositeur : Hyunmi Jeon
Traductrice / interprète : Gyung Hee Park
Crédit photo : Mac Théâtre de Busan
Du 6 au 28 juillet – relâche les 11, 18, 25 juillet au Théâtre du Balcon, à 15h40