Volver avec Olivia Ruiz au théâtre national de la danse de Chaillot
Olivia Ruiz – Si sa voix était un pas, elle serait ce claquement de talons au sol, imprimant un rythme franc et envoûtant. Si elle était un geste de danse, elle serait heurtée puis lascive, s’offrirait sans retenue. Elle serait aussi ce bras et ce poing levés de résistante, d’enfant exilée, de femme entre deux terres de cœur. Deuxième collaboration entre la chanteuse et le chorégraphe Jean-Claude Gallotta, Volver est un voyage musical enchaînant les tableaux comme les accents, de corps, de langues. En tournée toute la saison 2016/2017, le spectacle est présenté au théâtre national de la danse de Chaillot jusqu’au 21 octobre.
Un voile se pose sur la petite silhouette assise au centre de la scène, sur l’histoire qu’elle s’apprête à raconter, la sienne, et sur les danses, chants et souvenirs qui feront bientôt surface. Lorsqu’il se lève, c’est une parenthèse de mémoire qui s’ouvre. La jeune femme se souvient. Elle était Pepita, cette enfant « partie sans même savoir comment cela était arrivé ». Elle « traînait les pieds et ses guibolles abîmées » dans les ruelles et les cafés, courait entre les jambes des républicains et des résistants espagnols ; elle « jouait à la guerre tandis que les adultes la faisaient ». Jusqu’au départ soudain, pieds nus et gestes saccadés, Pepita quitte son pays natal pour la France, Perpignan, la capitale, terre d’asile peu accueillante, nouvelle terre d’adoption qu’elle a dû « adopter sans savoir si cette terre l’adopterait, elle, un jour ». Vêtue de noir, l’enfant se cherche une nouvelle identité à travers une robe et un nom d’une autre couleur. « Envolées », les miettes de Pepita, « écorchés », son visage et ses genoux, elle sera Joséphine Blanc, patronyme sans passé, page à inventer.
Le reste ne sera pour elle qu’un chemin d’apprentissage, et de passage : de frontière, de pont des amants, de cadrans sur l’horloge du temps. Ce sera aussi un chemin en art. La jeune femme trouve un emploi au Lapin Agile ; elle y fait le ménage, elle y fait des manèges. Déracinée, elle décide de ne plus s’arrêter, et marche, court, danse avec son balai, frappe sans cesse l’horizon jusqu’à ce que son tempo s’accorde à celui de son cœur. « Prends-moi, folle tempête, je m’abandonne à tes mouvements », se met-elle à chanter, « Je suis moi-même trop peu souvent… » Pieds régles sur une autre mesure et gestes renversés, Joséphine retrouve un peu de Pepita aux bras d’un révolutionnaire espagnol réfugié comme elle, mi-ange, mi-démon qui « lui rappelle tout ce qu’elle a abandonné » avant d’être abattu pour tentative d’assassinat.
Gestes de départ et de retour
Entre deux voiles, entre deux danses et deux numéros, Olivia Ruiz raconte le récit simple d’un amour impossible, car dessiné au creux d’une histoire plus grande. Cette histoire est celle de milliers d’Espagnols contraints de fuir leur pays à la fin des années 1930 pour rejoindre la France, où ils ont été considérés comme des « parias » et des « profiteurs ». Cette histoire est celle de ses propres parents et grands-parents – dont les échos ramènent à l’actualité –, comme l’explique Jean-Claude Gallotta : « Un soir, j’ai proposé à Olivia Ruiz, avec des croquis dessinés sur un coin de nappe de restaurant, de créer ensemble une comédie musicale ayant pour thème l’histoire de sa vie : une fille du Sud aux prises avec ses deux pays, avec ses deux cultures, avec son désir de l’un et de l’autre, avec les rejets qui vont parfois avec. Et ce constat : l’expression ”pays natal” n’existe pas. »
Lui piochant dans les chansons des albums, elle s’attachant à écrire une histoire d’immigrés, Jean-Claude Gallotta et Olivia Ruiz ont mêlé des airs et des mouvements pour dire l’expatriation – de couleurs sombres en flamboyantes, entre « lune et étoiles » des costumes au plateau, de petits pas heurtés en gestes déliés – et pour mieux revenir à l’intime. Volver n’établit aucune barrière ; il se chante en français, en espagnol et en anglais. Sous la rouge Pepita et la blanche Joséphine se logent en réalité bien plus de visages, reflets évoluant sur scène grâce aux neuf danseurs qui accompagnent l’interprète et qui sont à la fois ses miroirs et les témoins de son voyage intérieur. Repérée pour ses prouesses vocales, Joséphine conte sa propre légende, nourrie de tous ses secrets. Au moment de baisser le voile et de refermer son cabaret, son unique repli est celui d’un retour vital en elle-même. « Revenir », enfanter : se retrouver et inventer sur une terre qui serait celle de l’art.
Volver
Conception : Jean-Claude Gallotta, Olivia Ruiz
Chorégraphie : Jean-Claude Gallotta assisté de Mathilde Altarez
Comédie musicale avec Olivia Ruiz (danse, chant), neuf danseurs et cinq musiciens
Texte : Olivia Ruiz, Claude-Henri Buffard
Dramaturgie : Claude-Henri Buffard
Lumières : Manuel Bernard
Costumes : Stéphanie Vaillant, Aïala, Anne Jonathan
Vidéo : Maxime Dos
Crédit Photo : Guy Delahaye
Durée : 1h20
Au Théâtre national de la danse de Chaillot jusqu’au 21 octobre 2016
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