The Great Outdoors – Annie Dorsen
La metteuse en scène et dramaturge Annie Dorsen aime à utiliser les technologies pour repousser les limites du spectacle. Habitué des algorithmes qui lui permettent d’introduire de l’aléatoire dans ses créations, elle propose avec The Great Outdoors une expérience renouvelée du monde virtuel.
L’univers du dôme
Cinquante personnes peuvent rentrer dans le dôme, tout juste. On se déchausse, on abandonne tout bagages, avant de passer le sas, un par un, de cette construction pneumatique kaki. De l’extérieur, cela a un air pour le moins militaire, volontiers imposant et pourtant lorsqu’on y pénètre, c’est un autre monde, à la fois confiné et plus large qu’on ne l’aurait pensé. Dans le noir d’une séance de projection un paysage nous environne entre la ville et la forêt ; une campagne intermédiaire d’où il est vrai on voit mieux les étoiles. Nous entrons à la fin de la journée en nous asseyant et, bien vite, l’espace moelleux et doux comme une incitation, nous nous allongeons jusqu’au petit matin. Le passage accéléré du temps ramène la traversée de la nuit à une expérience assimilable ; c’est un ballet de constellations qui nous rappelle que depuis la Terre, elle-même en mouvement, nous sommes peu de chose. Instrument de spectacle autant qu’observatoire numérique, le dôme nous confronte à l’univers.
Du cloud aux étoiles
Dans cet environnement visuel propice à la rêverie, une voix scande les minutes puis les secondes, de plus en plus rapide. Il ne s’agit pas d’un simple décompte, quand bien même il s’agit d’une expérience du temps, mais de la lecture par une performeuse d’une série de commentaires, tweets et autres messages recueillies sur les réseaux sociaux. Organisés par un algorithme ces textes, de simples exclamations ou smiley à des phrases plus complexes sur l’actualité internationale ou sur une situation personnelle, donnent à la performeuse matière à nombreuses réponses. Parfois drôle, parfois circonspect, toujours improvisées ces échanges nous renvoient à la diversité du web, à son flux constant et à son émotivité. Sans doute le numérique nous a-t-il ouvert une autre galaxie, un terrain de jeu qu’il est aussi difficile à mesurer que les étoiles dans le ciel…
Le vertige de l’infini
Peu à peu, la performeuse devient esclave du flux, passant de la simple anecdote au rythme entêtant, au bourdonnement incessant. L’anonymat libère la parole pour le meilleur et le pire et le déferlement des commentaires vient bousculer l’ordre établi. Les médias sociaux semblent nous indiquer The Great Outdoors ne sont pas sans incidence sur le langage ; une forme d’entropie est à l’œuvre. Sans détailler les dérives liés à cette prolifération de la parole, Annie Dorsen nous donne le vertige de l’infini. C’est un monde dont nous n’avons pas le contrôle et qui appelle à nous défaire de nos certitudes ; de nouvelles lunes, d’autres étoiles peuvent en effet naître comme le suggère la vidéo. Mais le planétarium devenu fou, que faut-il croire ? Sans cesse redirigé cette promenade dans le ciel nous prive de repères à mesure que les théories du complot fleurissent. On remet difficilement les pieds sur terre, de retour de cette contemplation intranquille de l’état du monde numérique.
The Great Outdoors
concept/direction • Annie Dorsen
starshow design • Ryan Holsopple • Annie Dorsen
musique/son • Sébastien Roux
programmation vidéo • Ryan Holsopple
programmation de texte • Miles Thompson • Marcel Schwittlick
dramaturgie • Onome Ekeh
direction technique • Ruth Waldeyer
interprète • Kaija Matiss
Crédit photos: Julieta Cervantes
production • Rosie Management (Alexandra Rosenberg) • avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New Settings
coproduction • BIT Teatergarasjen & Bergen International Festival (Bergen, NO) • Crossing the Line Festival/French Institute Alliance Française (New York) • Noorderzon/Grand Theatre Groningen (NL)
The Great Outdoors a été en partie créé avec le soutien de King’s Fountain, et par Live Arts Bard au Richard B. Fisher Center for the Performing Arts at Bard College (Annandale on Hudson, NY) et avec le soutien d’une résidence à Abrons Arts Center (New York, NY).
Vu au Théâtre de la Cité Internationale
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