Demander à Lucinda Childs la raison pour laquelle, d’un commun accord avec Philip Glass et Sol LeWitt, elle a choisi d’intituler sobrement sa pièce « Dance » appelle une réponse formelle : « parce qu’il ne s’agit que de cela ». Nulle narration, mais un matériel composite qui fait se déployer autant les mouvements que l’épure de ces mouvements. Et son constat est tout aussi sobre : la danse est permanence.
L’écriture de Lucinda Childs n’appelle aucun temps mort ; mais elle ne serait exigeante si elle n’était entièrement renouvellement, répétitions incessantes de balancés, de tours en contretemps, de jetés et de manèges parallèles, et encore moins si elle ne devait rien engendrer. Comme des éléments de bandes passantes ou des notes de partitions, depuis chacun des danseurs, des lignes prennent forme qui ne sont que signes de prolongement. Ils témoignent non pas d’une possibilité de la danse, mais de son essence même.
Seul, à deux, à quatre, jusqu’à ce que, par mirage, cela devienne finalement impossible de les compter, les danseurs et les apparitions qui se superposent à eux semblent ne suivre aucun rythme, mais bel et bien être ce rythme ; et ils ne s’ordonnent ni à l’air ni au décor autour d’eux, mais sont à la fois air et décor. Ils paraissent invisibles dans leurs costumes blancs, de simples fantômes fondamentaux, suggérant les directions en quelques glissements, s’incluant dans la lancinance de la musique de Philip Glass et se faufilant sur d’autres scènes transparentes, sur ou sous ciel, qui sont comme chuchotées par les images de Sol LeWitt.
Danser « pour que rien ne se perde »
« Dance » est un fil tendu et continu né de la volonté de ne rien perdre de la vidéo de Sol LeWitt, réalisée en 1979 et tournée en 35 mm intégralement en noir et blanc, à partir de la chorégraphie que Lucinda Childs a créée sur la musique minimaliste de Philip Glass. Il est surtout unité : danse, musique et vidéo ne sauraient se concevoir séparément. Le film original est projeté à la façon d’un calque, réveillant tantôt une seconde scène quadrillée, tantôt un rideau, en tout point le spectre d’un nouvel espace, tandis que les danseurs évoluent.
Essentiellement horizontales, suivant une ligne qui dépasse très rarement les épaules, les foulées trouvent leur élévation autrement : il ne faut rien croire d’un espace supposément limité, la danse de Lucinda Childs s’obstine aussi hors-champs, atteint l’ailleurs, exploitant et étirant ses accents liquides. Elle est ainsi la plus forte au moment où l’on pourrait la croire fragile ou ne se contentant que d’ébauches d’elle-même. Et même lors d’arrêts sur image et de captations de l’instant, les corps en abondance retiennent et expirent un souffle magnétique, une idée d’immuable.
Dance de Lucinda Childs
Distribution en alternance
Musique enregistrée : « Dance I et III » réalisation The Philip Glass Ensemble) / « Dance II » réalisation Philip Glass & Michael Riesman
Crédit photo: Sally Cohn
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris – au théâtre de la Ville du 17 au 25 octobre 2014
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