Théâtrorama

Quelque chose d’un génie cosmique a ébranlé durant trois jours la scène du théâtre du Châtelet. Première pièce de la série des « Portraits » du Festival d’Automne, Limb’s Theorem de William Forsythe, créée en 1990 et interprétée par le Ballet de l’Opéra de Lyon, dialogue ininterrompu entre l’accessoire et le primordial, joue avec les sommets.

Sur scène, c’est un ensemble d’atomes, libres et contraints, s’attirant puis se rejetant, qui évoluent dans ce qui ressemble à un hangar à terre ouverte. À moins que cet espace difficilement identifiable ne soit que le reflet diffracté d’un faux miroir. En ce centre décharné, ils sont vingt-sept danseurs, gestes tour à tour fluides et brisés, costumes noirs et blancs : vingt-sept comètes ou corps en lutte, poussière détachée d’un astre unique. Vingt-sept danseurs pour autant de pions d’un damier céleste.
On ne sait si leurs pas sont ceux d’une genèse ou d’une apocalypse – tous s’accordent et se désaccordent, suivant et s’échappant toujours un peu plus d’un battement sourd puis criard, métallique, au rythme d’une montre inquiétante. Leurs gestes ainsi situés aux premières ou aux dernières notes d’une partition incertaine, ils apparaissent depuis les bordures du plateau, émergeant d’un chaos « pour affronter un monde d’obstacles menaçants ».

On aime les dire araignées, les danseurs qui embrassent les chorégraphies de Forsythe. Leurs membres projetés ne cessent d’accrocher les surfaces dans des mouvements disloqués et hâtifs. Ici, ils pourraient tout aussi bien être des particules élémentaires, maniant un vocabulaire simple quand le décor autour d’eux est une limbe (« Limb’s » 1 & 3), puis complexe au moment où une formule émerge des abîmes, à l’heure du théorème, dès lors qu’ils appréhendent l’Autre (« Enemy in the Figure »). À cet instant précis, leur temps et leur mode affleurent alors les frontières, et chaque geste devient une tentative furtive et saccadée, car chaque geste, chez Forsythe, naît d’une violente nécessité.

Les trois tableaux de Limb’s Theorem se fondent dans un paysage volontairement dépouillé, défié par les sons stridents du compositeur Thom Willems. Aveuglés par trois satellites en révolution – un plancher penché et une coque de navire gravitant, une cloison en bois –, et piégés par un souffle qui les emporte, les danseurs se tiennent sur une surface instable. De part en part, une grille, prison ou cocon, est leur seul espace vital.

Forsythe se sert de la danse pour trouver des sens. Et il y a urgence à entrer dans la puissance de l’œuvre du chorégraphe américain, avec ses codes et ses hypothèses, car elle parle d’un monde de mesures et de démesures, le nôtre ou comment nous croyons le définir.

Limb’s Theorem de William Forsythe
Musique Thom Willems
Ballet de l’Opéra de Lyon
Coréalisation Théâtre du Châtelet / Festival d’Automne à Paris du 4 au 6 septembre 2014
Coréalisation Maison des Arts de Créteil / Festival d’Automne à Paris du 4 au 6 décembre 2014
Crédit photo: Michel Cavalca
Festival d’Automne

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