Brice Bernier prend le temps. Le temps du contrôle et celui du lâcher-prise, de l’échauffement, de la marche vers la danse. Celui du geste fluide et du geste saccadé, d’une ligne entrant progressivement, puis brutalement, dans l’intensité d’un cercle. Il prend le temps d’essayer d’échapper aux hommes et aux machines, de laisser son corps devenir souffle et implacablement instrument.
J’y arrive pas est une approche lente de la matière. Une appréhension tranquille et totale, l’œil fixe et les membres tout d’abord raides, du sol par empreintes, et de l’air par balanciers. Autour du soliste, le lieu qui accueillera la représentation se remplit malgré lui. C’est une couverture d’objets prête à dévorer l’espace : on le recouvre d’un praticable blanc posé en plein centre de la scène, on le meuble de tables de mixage sur les côtés, on le charge soudain de spots lumineux et de fils électriques qui pendent comme des êtres inanimés, et on le sature à coup de musique qui revient sans cesse – des morceaux connus, l’air de Jacqueline Taieb pas tout à fait réveillée, et d’autres électroniques et lancinants. Sur un écran d’images redoublant les appuis au sol et dans l’espace, on capture aussi bientôt les moindres flux, variations et fluctuations, de sons et de corps.
J’y arrive pas pourrait être ce simple exercice, ou cet exercice simple : une entrée dans la coulisse quelques minutes avant le spectacle, la répétition du danseur, les tentatives de prendre pied et équilibre, se concentrer, échouer parfois, enfiler le costume de l’artiste, le bonnet du danseur de hip hop, accepter de se soumettre à une somme de repères encore inconnus, à connaître. Puis un rythme se trouve hors de toute atteinte, minimal et en contrepoids, entre ancrage et avancée, expérience et épuisement. L’air de rien, un drame humain se structure, solide qui fragilise le corps en mouvement : il part, montre Brice Bernier, d’« outils que nous croyons contrôler mais dont nous sommes tributaires » et il le « traverse » de part en part à la verticale, des pieds jusqu’aux mains et jusqu’au sommet du crâne, « électrisant » chacun de ses membres.
Renoncement et conversion
Il n’y a pourtant pas plus d’abandon que d’affirmation de soi, dès le titre : « J’y arrive pas » met l’être, le danseur-chorégraphe, au cœur d’un processus réfléchissant sans cesse sur lui-même. Le pronom « y » n’a aucun référent défini, et la négation est tronquée de moitié, comme une parole d’enfant résigné mais acharné dans un même temps. C’est une danse en train de faire, un énoncé qui s’écrit et se redit – comme le double en fusion provoqué par l’écran, le danseur est traversé par ses propres manies, défiant par exemple la stabilité en posant une tasse de café sur son pied.
L’éveil, à continuellement interroger et achever, est douloureux. Il peine à « trouver sa source » et il saisit le corps dans un courant variable. Il place le danseur dans un monde entier d’expériences, dans lequel échec ou réussite ne dépendent pas de lui. La scène qui s’était ordonnée, comme le corps qui semblait initialement avoir trouvé ses points d’ancrage, ressemble en fin de course à un espace désaffecté après un temps de lutte intense.
Mais le vide n’est pas encore là : quelque chose se bat, à l’intérieur du corps jusque vers l’extérieur de lui, se cimente en tentatives, se répète à la façon de spasmes mettant en marche une deuxième mécanique. Les pas, seconde respiration, seconde glissade pour apprivoiser le sol et les éléments, reprennent alors presque obligatoirement. Ils sont à la fois souvenirs et nouvel essai, traces (re)converties par l’essai d’une libération, signe d’un risque qui a été pris.
Création de Brice Bernier / collectif KLP
Chorégraphe, mise en scène, texte et interprétation : Brice Bernier
Assistant : Sofian Jouini
Musique : Guillaume Bariou
Lumières : Willy Cessa
Vidéo : Loïs Drouglazet
Construction : Manfred Schafer
Crédit Photo D.R.
Du 10 au 13 septembre 2015 au Théâtre des Abbesses / Théâtre de la Ville dans le cadre de Danse Élargie
Rejoindre la Conversation →