Théâtrorama

Coucou / Kuku de Mateja Bizjak Petit

« Bulle », « nid », « cocon », « douceur », autant  de mots qui fusent dans l’esprit des grands comme de matières à découvrir pour les petits. Un spectacle conçu à partir du livre éponyme de Lucie Félix, comme un moment unique où le public est ensuite invité à rejoindre l’espace de jeu. Ainsi, l’origine de la vie, nommée enfance, rejoint l’essence du théâtre, comme un jeu entre action et contemplation, dans une expression unique de soi. Rencontre avec Mateja Bizjak Petit, metteure en scène du projet.

Coucou / Kuku ne comporte pas de « marionnette » au sens anthropomorphique du terme. En quoi ce spectacle rejoint-il cet univers? 

Mateja Bizjak Petit : On est partis du postulat que les enfants, à 18 mois, ne savent pas qu’on joue la vie d’un objet. Si on prend la marionnette qui a la tête, les yeux, les bras, et qui bouge, les enfants ne sont pas conscients de l’effort que nous, adultes, faisons, pour essayer de rendre cette poupée vivante. Par contre, ils vont s’intéresser au mouvement qu’elle fait. Ils vont s’intéresser à l’action. Ils ne vont pas regarder ce qu’on montre, ils vont regarder ce qu’on fait. C’est dans ce côté « faire » qu’on a cherché le rythme du spectacle, que ce soit avec Lucie Félix, avec l’auteur, ou avec les comédiens à qui j’ai donné des indications. Coucou/ Kuku est un spectacle d’objets, de sons, de mouvements, de musique, qui peut rentrer dans un festival de marionnette, puisqu’on est dans la manipulation, animation, mise en vie théâtrale. Bois, papier, carton, livre, sont des objets tout simples mais riches de découvertes, sans pour autant être numériques. 

Quel rapport établissez-vous avec le jeune public ?

Mateja Bizjak Petit : Le défi était de trouver comment s’adresser aux enfants, tout en les emmenant dans une expérience théâtrale, complète, entière. Quand on rencontre un enfant dans la rue, chez les voisins, chez les amis, on s’adresse à lui tout spontanément. On lui parle à son niveau, sans l’infantiliser, ou chercher des sons je ne sais où… De toute façon, si on fait ça, on ne va pas l’intéresser. Dans un spectacle pour les tout-petits, c’est la même chose. Il ne s’agit pas de « faire semblant de jouer pour de vrai », mais de « jouer pour de vrai ». Nous avons cherché comment créer des ambiances théâtrales, des expériences sensorielles, inviter les enfants à toucher, écouter, se déplacer en même temps que le spectacle se déroule… Il y avait l’espace scénique, l’espace no man’s land, et l’espace du spectateur. Comment marquer ces différents espaces. Comment faire signe à l’enfant que là, il ne faut pas se déplacer, tout en jouant juste devant lui, avec des objets qu’on sait qu’il a envie de toucher. Il s’agissait vraiment d’aller dans son univers. Dans les crèches, les maternelles, on utilise beaucoup des tapis mousse. On les a repris et disposés tout autour du tapis qui délimite la scène. Et tout à l’heure pendant le spectacle, on a vu un enfant qui a traversé, et il n’a pas dépassé. Cet espace-là a été respecté.

Aujourd’hui, il y a beaucoup de spectacles chez les petits où on est sur le sensoriel, on va inviter les enfants à toucher, écouter, se déplacer en même temps que le spectacle se déroule… J’avais envie de créer cette tension dramatique, que l’enfant soit vraiment « spectateur », qu’il regarde, qu’il soit attentif, curieux, qu’il se demande ce qu’il va se passer, qu’il ait un peu peur mais pas trop, que tout ce qu’on va provoquer comme action puisse l’intéresser. Ainsi, on va dérouler les actions jusqu’au moment où on sait, nous les adultes, qu’on n’est plus que dans le « montrer », dans le « faire », et que ça va s’arrêter. Et comme un jeu d’enfant, on peut alors tourner la page, et partir dans une nouvelle aventure.  

Quel a été le point de départ de Coucou / Kuku ?

Mateja Bizjak Petit : Il y avait ce poème de Pierre Soletti, un auteur avec lequel je collabore depuis plusieurs années, puis en amont de la création, j’ai aussi eu la chance de travailler avec Lucie Félix, la créatrice du livre « Coucou », au Centre de Création pour l’Enfance de Tinqueux. On avait construit avec elle une exposition, à partir d’un livre. Déjà, son univers, son intelligence par rapport à l’enfance m’intriguait. Il y avait quelque chose de très dynamique, elle comprenait vraiment l’enfant. Elle lui offrait un espace où il allait vraiment pouvoir continuer le geste de lecture du livre. Je lui ai proposé de faire une résidence de recherche ensemble. Elle a commencé à travailler autour du livre « Coucou ». C’est là où elle a trouvé les matières qui plaisaient le plus aux enfants. Le tube, l’œuf, et toujours le retour au livre qui raconte une histoire. Elle nous a mis ça en main, et avec les comédiens, on a commencé à explorer. 

Une des particularités de ce projet est de s’inscrire au croisement de deux cultures…

Mateja Bizjak Petit : Ce spectacle est une collaboration avec le Théâtre National de Ljubjana, en Slovénie. Ce dispositif nous a encouragés à aller au-delà de ce qu’on aurait osé engager, en étant seuls. On a rassemblé les ressources. Il y avait une mise en scène, une création littéraire, et une création musicale. Ensuite, il y avait la construction des deux sets. Le jeu entre les comédiens s’est fait dans une danse commune. Les binômes pouvaient se regarder jouer, s’aider, se conseiller, s’orienter. D’après ce qu’ils m’ont dit, c’était extraordinaire, car ils étaient spectateurs de ce qu’ils voulaient montrer. Ca les a beaucoup aidé, surtout lorsqu’on parlait des regards, car les comédiens n’ont pas l’habitude de regarder le public. 

Le fait de monter le spectacle entre deux cultures, deux modes de vie différents, a permis de  donner encore plus de justesse. Nous avons cherché où était cette universalité. Nous sommes allés dans la source même de ce qui rebondit. 

L’univers sonore semble occuper une place particulière…

Mateja Bizjak Petit : La musique de Damien Félix est très importante. C’est une création originale. On voulait une musique qui ne soit pas enfantine, une musique qui percute le cœur et le ventre. Les basses nous rappellent ce côté ancestral. Damien Félix est plutôt dans l’univers du rock, mais il avait depuis longtemps envie de travailler avec sa sœur, dans un spectacle jeunesse. Ensuite, on a eu beaucoup de chance de rencontrer Maxime Lance comme comédien musicien. C’est avec lui qu’on a développé la partie numérique, design du son, qui permet l’immersion sonore. Ca remet aussi l’adulte dans le piège du spectacle, l’adulte qui a besoin de montrer, et qu’on lui montre, parce qu’il a besoin d’avoir un avis. L’enfant n’a pas d’avis. Il est témoin. Si on est bons, il continue avec nous, sinon il lâche. 

Comment s’articulent les différents niveaux de lecture avec le fond de votre propos ?

Mateja Bizjak Petit : J’avais vraiment envie de dire aux enfants qu’on a le droit d’être heureux, et que ça s’apprend aussi. La meilleure façon de se dire qu’on est heureux, c’est de se le dire, avec les mots. Si on ne se le dit pas, on ne parle pas de la même chose. Dans tous les spectacles que je fais, je mets la parole et la poésie. C’était aussi vital de la mettre dans celui-ci. J’ai pris des morceaux d’un texte qui était écrit pour les adultes. Je me suis dit : « Oui, des enfants vont les entendre, et ça peut faire quelque chose, même s’ils n’ont pas compris ». Parce que nous sommes des enfants. Nous étions des enfants, qui sont devenus grands. Et eux aussi, vont grandir. La référence du spectacle, au tout début, c’est « hyménoptère ». Avec ce mot, on met tout le monde au même niveau. Même les adultes n’ont pas de repères. C’est excellent quand les enfants regardent les parents et que les parents leur disent « je ne sais pas ». C’était l’intention de ce spectacle : on le fait pour les petits, mais en fait, on le fait pour tout le monde. 

  • Coucou / Kuku Tout public dès 18 mois
  • Mise en scène : Mateja Bizjak Petit
  • Chorégraphie : Barbara Kanc
  • Jeu : Caroline Chaudré et Maxime Lance
  • Poèmes : Pierre Soletti, Damien Félix et Mateja Bizjak Petit
  • Composition musicale : Damien Félix
  • Réalisateur en informatique musicale : Maxime Lance / Collectif Sonopopée 
  • Piano : Mathis Bouveret-Akengin
  • Lumière : Gregor Kuhar et Romaric Pivant
  • Regard extérieur : Brigitte Bougeard
  • Equipe slovène jeu : Maja Kunsic et Gasper Malnar
  • Traduction : Masa Jazbec
  • Et toute l’équipe du Lutkovno Gledalisce Ljubljana 
  • Crédit photos : Jaka Varmuz
  • vu au Festival Mondial des Théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières
  • Tournée 2019-2020
  • Du 8 au 13 octobre 2019 | TJP de Strasbourg (67)
  • Du 14 au 16 novembre 2019 | Réseau Lecture Publique | Aubergenville (78)
  • Du 5 au 8 février 2020 | Marché de la poésie jeunesse | Tinqueux (51)

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