Emeline et Cheyenne ont 9 ans. L’une vit en pavillon, l’autre en caravane. À travers l’histoire de cette amitié pas commune, Elisabeth Troestler déploie avec soin et grande minutie la matière de nos exils intérieurs, de ces étapes qui font grandir, s’ouvrir, et aident à devenir. Rencontre.
Comment ce projet est-il né ?
Elisabeth Troestler : C’est un projet qui a pris sa racine il y a environ 4 ans. J’étais invitée à animer un atelier d’écriture dans une ville à côté de Rennes, sur un terrain. J’avais pris une petite valise rouge dans laquelle j’avais mis des papiers, où il était écrit : « Si tu partais en voyage, qu’est-ce que tu emmènerais ? Si ta maison, si ta caravane brûlait, qu’est-ce que tu prendrais ? »
L’autre partie de l’atelier se déroulait dans les murs d’une bibliothèque. J’ai posé les mêmes questions. Je me suis rendu compte, en allant sur ces deux espaces de vie très forts, qu’en fait ce sont les sédentaires qui ont un sentiment d’exil très fort, un sentiment de non appartenance, un sentiment de non-reconnaissance, un sentiment d’étrangeté, au monde qui les entoure. Les voyageurs, la plupart du temps, la seule chose qu’ils emmènent, c’est leurs enfants. Il y avait un vrai espace de poésie, dans les réponses. J’ai rencontré un gamin qui s’appelait Bonheur, et Bonheur, il avait une Ferrari qui l’attendait dans sa caravane, alors qu’il avait 13 ans. Elle était déjà achetée. Ca peut rentrer dans un cliché, mais en même temps, il y avait une poésie dans cet acte-là. Le Bonheur qui roule en Ferrari, je trouve ça drôle. Et ça m’a emmenée ailleurs, ça m’a fait voyager dans une autre réalité, dans d’autres obligations. Ca m’a emmenée dans d’autres schémas de construction, de vie, de regard de la société…
C’est-à-dire ?
Elisabeth Troestler : Pour moi, c’était important d’aller à la rencontre des voyageurs, parce que je suis une sédentaire. Je suis allée en sac à dos en Asie, en Mongolie, j’aime bien les espaces de nomadisme. Mais je suis sédentaire, dans le sens où j’ai grandi dans une maison… Alors, j’ai monté des ateliers avec des jeunes enfants voyageurs, dans le Morbihan. J’ai rencontré une bande de gamines formidables, avec qui on a fait un film d’animation en travaillant sur l’objet. Je ne suis pas allée les interviewer pour dire « C’est quoi ta vie de voyageuse ? », j’avais envie qu’on partage « un truc ». Je me suis remplie d’une énergie. Ces gamines, elles étaient là parce qu’elles en avaient envie. Il y avait cette énergie-là de « Je suis là, mais je ne suis pas obligée d’être là. Personne ne va me forcer.» Et cette liberté est exceptionnelle. Ca a nourri mon personnage de Cheyenne.
Un spectacle construit avec des enfants, qui s’adresse aussi aux enfants…
Elisabeth Troestler : Je me souviens que quand j’étais gamine, je voyais les adultes, et je me disais, « Ils sont complètement fous ! » et j’ai eu envie de remettre ça dans le regard d’Emeline. Ce n’est pas vrai, ils ne sont pas fous, c’est juste un regard de caricature… Mais j’avais envie que les gamins, s’ils entendent leur oncle, ou leur tata, ou leur lointain cousin, balancer des propos ou des préjugés, aient une autre matière à penser. J’avais envie qu’ils se disent que ce qu’ils entendent de la part des adultes, ce n’est pas forcément la vérité. J’ai envie d’une autre génération, qui soit plus ouverte.
Pourquoi avoir choisi le théâtre d’objets, pour servir votre propos ?
Elisabeth Troestler : Moi je suis conteuse, j’écris avec les mots, je raconte des histoires. Les objets, pour moi, c’est la découverte d’une écriture, une écriture qui me plaît énormément, parce qu’elle est remplie de silences. Ca raconte tellement de choses, avec si peu de mots ! Ca permet à tout le monde d’écrire. Lorsque le spectateur me voit bouger les petites chaises, je n’ai pas besoin de raconter, je bouge juste les chaises. J’ai travaillé avec la complicité de Yannick Jaulin et Abbi Patrix dans le cadre d’un appel à projet. Ensuite j’ai fait appel à Anne Marcel à la mise en scène et l’écriture au plateau et à Katy Deville pour la relation à l’objet…
Comment vous est venu le titre du spectacle, « Mises à l’index » ?
Elisabeth Troestler : Pour moi, ce titre, c’est justement parce que je manipule avec mes doigts des tout petits objets, qui sont très valorisés. Ce sont de petits objets, mais ça m’a permis de faire des « zooms », sur la société. Comme c’est tout petit, on focalise son regard. On ne va pas voir ce qu’il se passe dans le monde, on va voir ce qu’il se passe à Saint André des bois. Et au final, ça donne un reflet du monde. Parce qu’il y a plein de Saint André des bois partout, même à l’intérieur de nous. On est un village. Ce titre, c’est aussi l’idée que quand tu montres quelqu’un du doigt, tu as tous les autres doigts qui sont vers toi. Tu te montres trois fois plus du doigt. Ca veut dire qu’avant de montrer quelqu’un du doigt, il faut accepter de se voir, aussi.
Mises à l’index
Tout public dès 6 ans
Un spectacle de la Compagnie 7ème tiroir
Ecrit, conçu et interprété par : Elisabeth Troestler
Mise en scène : Anne Marcel
Paysage sonore : Dimitri Costa
Création lumière : Thomas Civel
Conseils manipulation d’objets : Katy Deville, Serge Boulier, Séverine Coulon
Crédit photo : Doumée
Vu au Théâtre aux Mains Nues
Tournée prévue en Automne 2018 dans le pays de Pontivy (56)
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