Rilke au Théâtre de Nesle
« C’est donc ici que les gens viennent pour vivre ? » – Texte de Rainer Maria Rilke. À la manière d’une étoile dont les branches écrivent l’unité poétique, le spectacle mêle dessin, musique et parole au cœur de l’éphémère du plateau. Retour sur cette traversée sensible, nuancée et poétique des Cahiers de Malte Laurids Brigge, de Rainer Maria Rilke, créé par la compagnie L’Équipage de l’Antilope, dans le cadre du festival 789 au Théâtre de Nesle.
Quelle est l’histoire de la création de votre compagnie, L’Équipage de l’Antilope ?
Alexandre Beaulieu – auteur et comédien – : La compagnie s’est montée il y a deux ans. De l’amitié qui nous liait, est né un désir de créer ensemble. Nous nous sommes retrouvés autour du premier conte que j’ai écrit, « La Porte et le petit tailleur de pierres », spectacle qu’on a emmené à Avignon cet été.
Pierre Alfred Eberhart – metteur en scène – : De là, sont nés d’autres projets, qui ne sont pas encore forcément montés, mais qu’on a montrés sous de petites formes. Le pari est une adaptation d’une nouvelle de Tchekov, sur laquelle on a travaillé avec Jean Burucoa, qui est comédien sur le spectacle de Rilke. Il y a aussi un autre texte d’Alexandre, La quête du miel, qu’il va bientôt repartir affiner au cours d’un voyage en Inde.
De quelle manière le collectif présent au plateau de C’est donc ici que les gens viennent pour vivre s’est-il formé ?
Alexandre Beaulieu : Quand on s’est tous rencontré, on a compris qu’on avait un univers commun, qu’on voulait dire les mêmes choses, avec plusieurs sensibilités, et par des arts différents. On avait une recherche commune. On a découvert que, par exemple, dans les dessins d’Humphrey, il y avait une forme de tendresse, quelque chose qu’il voulait exprimer et que moi je cherchais à exprimer dans l’écriture, que Pierre Alfred voulait exprimer dans la mise en scène.
Pierre Alfred Eberhard : C’est à l’occasion d’un festival de courts-métrages qu’on organise à Saint-Denis, « Le Court nous tient », qu’on a découvert le groupe de musique Vendège et rencontré Thibault Marchal et Doriane Ayxandri. On a tous eu un profond coup de foudre sur leur musique, et ce qu’elle nous raconte. Tout au long de l’année, nous avons fait de nombreuses réunions tous ensemble. Nous rêvions autour de différents projets, dont un qui n’a pas encore été monté : « Le rêve de la créature ». C’est un texte qu’Alexandre a écrit en Inde il y a trois ans, une grande fable sur la création du monde, l’ambition, la folie des Hommes, la beauté de la nature… C’est une grande quête épique. C’est un projet qui va se faire, mais avec plus de moyens.
Alexandre Beaulieu : On voulait surtout travailler ensemble rapidement, pour essayer de nous découvrir, et de rentrer dans la sensation pure. Ce partage qu’on avait, dans nos discussions, dans la confrontation avec les arts des autres, on s’est demandé si on pouvait en faire quelque chose de concret dans une vibration, sans chercher à faire une mise en scène compliquée. On a pensé à une lecture musicale dessinée. On l’a trouvé avec Rilke.
Rilke : « Faire du quotidien, une réalité quotidienne »
Pourquoi Rilke ?
Alexandre Beaulieu : C’est un auteur qui nous a beaucoup construits au niveau humain et artistique, par l’exigence qu’il a, qui est une forme de sincérité. D’un art un peu total, d’une manière d’être. Tout ça, c’est une recherche. Ce qui réunit ce groupe-là, c’est une manière d’être, d’essayer de considérer l’art comme quelque chose qui nous transforme et doit transformer notre quotidien. On essaye de voir comment on peut appliquer l’art, comment ça peut changer un regard, une perception en général. Il y a ça chez Rilke cette volonté, il le dit lui-même : « Faire du quotidien, une réalité quotidienne ».
C’est-à-dire… ?
Alexandre Beaulieu : Le quotidien, c’est une habitude, c’est un moment de mort, fait de codes et de faussetés, d’habitudes et de cultures. La réalité quotidienne, c’est faire de chaque seconde un moment profondément vécu. D’un seul coup, les choses se révèlent pour ce qu’elles sont, et non pas pour ce qu’on voudrait qu’elles soient, ou l’utilité qu’on en a. Rilke parle beaucoup de la nécessité à écrire, à créer. Dans Les cahiers de Malte Laurids Brigge, mais aussi dans toutes ses œuvres, on sent que chaque mot est senti, nécessaire.
De quelle manière le dessin s’est-il mêlé à cette matière des mots de Rilke et de la création sonore de Vendège?
Humphrey Vidal, – dessinateur – : On a d’abord travaillé sur une sorte de « déconstruction » du dessin. On avait un principe de base, qui était de ne pas absolument faire de l’explicatif, de l’illustratif. J’ai repris des thématiques qui étaient importantes pour moi dans l’abstrait.
Petit à petit, au fil de la création, je me suis positionné comme une sorte de « catalyseur », comme une sorte de « absorbeur » des énergies des autres. Je les rassemble pour en créer une matière visuelle, mouvante, sur cette plaque de plexiglas, à l’avant-scène. Je m’en sers pour donner de la sensibilité au niveau graphique. C’est vraiment de l’ordre de l’émotion picturale. Je suis amené à faire de l’abstraction du moment. On s’est rendu compte qu’il fallait créer du mouvement, dans les corps. Tout le monde est assis, sauf moi. Je suis aussi un peu la rage de l’artiste, son côté animal, de poète. Je suis un peu le corps, l’énergie « brute ».
Pierre Alfred Eberhard : Quelque chose d’important aussi, c’est d’observer la création, la création picturale en l’occurrence, en direct. Comment les choses se posent petit à petit visuellement.
En effet, questionner le processus créatif, la quête de soi à travers le voyage initiatique, semblent être des thématiques qui traversent vos recherches et vos créations…
Pierre Alfred Eberhard : La vie est toujours en mouvement. Elle n’est jamais figée. Dans le mouvement de ce qu’on est aujourd’hui, il y a déjà le mouvement d’après. Ce qui nous importe, c’est comment on vit cette transformation, comment on l’écoute, où elle nous mène. Et pour l’instant, elle nous mène à travailler sur ce type d’auteur là, ou à écrire des histoires qui créent un mouvement dans la transformation. C’est pour ça, ce genre de quête, qu’aujourd’hui on fait du théâtre.
Au Théâtre de Nesle les 4, 7 et 8 septembre 2016 à 19h
Auteur : Rainer Maria Rilke
Mise en scène : Pierre Alfred Eberhard
Avec : Alexandre Beaulieu, Jean Burucoa, Tibault Marchal, Doriane Ayxandri, Humphrey Vidal
Compagnie : L’équipage de l’antilope
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