Théâtrorama

Isabelle Rattier, met en scène « Les Monologues du Vagin » pour la 10ème saison. L’occasion de parler d’elle (L’auteur, Eve Ensler), d’elle (qui met en scène), d’elles (les actrices) et d’elles (les femmes).

Quand et comment a commencé l’aventure des Monologues du Vagin pour vous ?
« L’aventure a commencé en 2001 alors que Marie Cécile Renauld, la productrice des Monologues du Vagin et agent de l’auteur, a pensé à moi pour la mise en scène de la première version à trois actrices. Avant cette date la pièce était jouée par Eve Ensler, puis la pièce est arrivée à Paris, elle était alors jouée par une seule actrice en scène (mise en scène de Tilly). Et après les saisons se sont enchaînées. »

Pourquoi ce choix de jouer à trois actrices plutôt qu’une ?
« Il faudrait demander à Eve Ensler. Mais je pense qu’à trois voix, la parole devient plus universelle. Elle circule de l’une à l’autre, il ne peut pas y avoir d’appropriation. La partition est plus variée, plus riche et c’est plus agréable pour le public. C’est aussi plus juste parce que c’est la parole de centaine de femmes qui est transmise. C’est pour cela d’ailleurs que ce ne sont jamais les mêmes comédiennes. »

Vous connaissiez déjà le texte avant de le mettre en scène ?
« Je ne le connaissais de réputation mais je l’ai réellement découvert en allant voir la pièce, et ça été un coup de foudre immédiat. C’est un texte en or, absolument inouï, tellement actif sur le public, et sur nous ! Les gens en ressortent différents de la façon dont ils sont rentrés … il est d’utilité publique ! »

isabelle RATTIERAvez-vous rencontré Eve Ensler ? Comment la décririez-vous ?
« Oui. C’est une force de la nature, elle a une puissance incroyable. C’est quelqu’un qui sait très bien de quoi elle parle. Elle a écrit un texte contre la violence faite aux femmes, elle a crée un mouvement pour cela (V-DAY  » Stop à la violence « ). C’est une des premières associations caritatives en Amérique, et aujourd’hui de renommée mondiale. Et Eve Ensler sillonne le monde avec ces textes. »

Que lui diriez-vous si cela devait tenir en une phrase ?
« Merci. Merci pour tout le monde, pour les femmes, les hommes… Elle a jeté ce pavé dans la mare, et qui par onde de choc a envahi le monde. Tout le monde avait besoin d’entendre cela mais personne ne le savait. C’est vraiment la fonction de l’auteur de théâtre ! Elle a écrit ce texte juste au bon moment, en avance sur son temps mais pas trop. C’est un énorme merci pour la cause des femmes, mais aussi pour les hommes, pour le public et pour l’humanité. »

Eve Ensler est une auteure engagée dans la cause féministe, elle dénonce les injustices et des violences faites aux femmes, et vous vous êtes engagée ?
« On s’engage dans la création, et dans l’organisation des V.Day (une représentation unique avec des personnalités, pas forcément des actrices d’ailleurs où des fonds sont récoltés pour diverses associations qui aident les femmes) qui représentent un engagement énorme. On s’investit pour faire entendre cette parole. Et surtout sans agressivité, et d’une façon qui parle au public français, avec tout l’humour, l’ironie propre à notre culture. »

C’est une pièce  porteuse de message. Quelle est selon vous, votre part de responsabilité dans la transmission de ce message ?
« Ma responsabilité c’est de restituer le texte tel que Eve Ensler le souhaite, enfin je l’espère en tous les cas. Je m’efforce rester fidèle à son écriture. Je dois respecter tous les mouvements présents dans le texte afin rester en contact avec elle. Il y a beaucoup d’humour et en même temps c’est très émouvant, parfois c’est très dur. Il y a des passages joués, lus. Je me dois de restituer le texte de cette façon là et le plus simplement possible. Chacune est sur son tabouret, le texte à la main. Il s’agit d’orchestration plus qu’une de mise en scène. Et cela se joue partout de la même façon, à sa demande d’ailleurs. »

Il y a un cahier des charges très précis concernant « l’utilisation » des textes d’Eve Ensler, notamment par rapport à la mise en scène, comment gérez-vous cette contrainte ?
« Eve ensler n’est pas censeur par rapport à cela. Au tout début, j’avais cherché toutes les manières de le jouer, debout, assis, par terre. Mais je me suis vite rendu compte que la meilleure façon de le jouer, c’est sur un tabouret. Et c’est ainsi qu’elle l’a écrit, elle était toute seule sur un tabouret de bar. C’est la meilleure position, on n’a pas les pieds sur terre, on est un peu surélevée, on est libre de mouvement pour regarder ses camarades. Et ce texte à la main créant la juste distance qui tranquillise le public. Vraiment, pour que cette parole transmise, parfois aussi crue que poétique, soit entendue et transforme le public, c’est là qu’on est le mieux. Comme le dit Eve Ensler, « ça reste toujours mystérieux » mais ça fonctionne comme ça ! »

Comment réinventez-vous la mise en scène d’année en année ?
« Je ne réinvente pas la mise en scène, je travaille avec les personnes. Je m’appuie sur la personnalité des actrices qui vont colorer le spectacle. C’est ce qui fait qu’il change tout le temps. Le texte est très mobile, il y a beaucoup de fluidité, je dis souvent à mes actrices « c’est comme de l’eau, on ne peut pas l’attraper, faut que ça bouge ». Et du fait de la circulation de la parole entre les actrices, personne, y compris moi, ne peut s’approprier le texte. Le spectacle change de couleurs, de vêtement, de voix, de couleur de cheveux, de personnalité. Moi, je travaille toujours de la même façon, je cadre, j’orchestre, je redonne les rythmes ; Et après ça va vivre et c’est très plaisant. Le grand bonheur de ça, c’est la relation particulière que se tisse avec chacune. Car si elles sont trois en scène, je travaille seule avec chacune leur partition. »

Sur quels critères est choisi le trio d’actrices ?
« Il y a des actrices qui nous demandent, d’autres avec lesquelles on a envie de travailler. Mais je crois que ce n’est pas une question de curriculum vitae, parce qu’il y a aussi des chanteuses, des journalistes… c’est surtout les bonnes personnes pour dire ces mots là. Les bons humains. »

Qu’est-ce cela a changé dans votre vie de mettre en scène Les Monologues du Vagin ?
« Beaucoup de choses ! C’est un compagnonnage avec un grand auteur, un grand texte, et puis cette rencontre particulière avec toutes ces femmes. Et puis c’est surtout de redécouvrir à chaque fois ce texte, au travers d’elles. Souvent on me dit « Tu n’en as pas assez ? », mais pas du tout, jamais. C’est comme une mission, c’est la transmission des « Monologues du Vagin » et de voir à quel point ce texte est incroyable. C’est un texte qui transforme, Virginie Lemoine a dit une phrase que je trouve très juste à une artiste qui rejoignait l’équipe : « Tu verras, il y a un avant et un après les Monologues du Vagin ». C’est un texte actif sur le public et sur nous qui le fabriquons pour le public. Et puis c’est une très belle aventure humaine. C’est pour cela que je suis très attentive à « bichonner » ce spectacle. »

La femme s’affirme et se revendique au sein de la société depuis une dizaine années, cette pièce y est-elle pour quelque chose ?
« Oui absolument. Ne serait-ce que ce titre très provocateur à l’époque. Aujourd’hui, les gens parle différemment, cela n’enlève rien de la poésie, du mystère ou de la profondeur de la femme. »

Alors, pari tenu, le mot « Vagin » n’est plus un mot vulgaire ?
« Absolument, grâce à cette femme incroyable le mot n’est plus tabou. »

Pour finir, quels sont vos souhaits pour l’avenir et pour la femme ?
« Il faut continuer le combat contre la violence faite aux femmes pour que les choses bougent chez nous – quand on sait qu’en France une femme est tuée tous les six jours à cause de violences conjugales * – et dans les pays où les droits des femmes sont régulièrement bafoués. Je trouve que les choses bougent et en partie grâce à Eve Ensler, c’est incroyable de penser que le texte a été joué en Afghanistan sous le manteau ! Espérer que l’effet domino continu et donne naissance à d’autres initiatives contribuant à la liberté de la femme… »

*(ENVEFF – enquête nationale sur les violences envers les femmes – Octobre 2001)

Pour en savoir plus sur le V day
http://www.vday.org/

Les Monologues du Vagin se jouent au théâtre Michel avec Claudine Coster, Maimouna Gueye ou Stéphanie Bataille (en alternance), Aurore Auteuil. Du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 17h30
Réservations: 01 42 65 35 02

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