Théâtrorama

La culture prend de la hauteur et la musique déconfine les habitudes pour sortir des salles de concert et entrer dans les cours d’immeuble. Quand des voisins s’amusent à créer ensemble, les portes s’ouvrent pour accueillir une initiative qui a de l’avenir dans l’horizon du spectacle vivant… Entretien avec Laura Lalande, marcheuse pleine de poésie au bout des pieds et initiatrice du projet…

Comment la cour de votre immeuble est progressivement devenue une scène ouverte ?

A chaque changement de saison, de manière quasi rituelle maintenant, je pars de chez moi à pied et quitte Paris pour une destination plus ou moins lointaine. Me faufilant dans les villes, campagnes, banlieues, je rencontre des personnes affairées à leurs tâches et activités. Etre en pèlerinage, à la fois nomade et pleinement présent, ouvre à décaler son regard. J’ai commencé à voir quelle beauté, quelle poésie émanait de ces quotidiens pourtant ordinaires.

Au retour d’une de ces longues marches en 2016, j’ai pris conscience que des personnes à l’autre bout du pays m’ouvraient leur porte, et que je ne connaissais toujours pas mes voisins parisiens. Je regardais ma cour, cet espace transitoire entre intérieur et extérieur, qui souvent n’a pas de vocation précise. J’ai imaginé que toutes les fenêtres s’ouvrent en même temps, et que juste un instant, on se regarde. Je vivais alors avec des musiciens. Je leur ai proposé de jouer un morceau dans la cour. Séduite par l’idée, ma voisine du troisième est aussi venue, avec son ensemble de musique baroque. Puis d’autres amis. Bientôt, nous avions quatre groupes. Le premier concert suspendu était né. « Suspendu », car originellement, les artistes jouaient sur le toit. L’année suivante, nous créions l’association J’irai créer chez vous.

Tous les voisins de l’immeuble vibrent d’une même voix pour cet espace musical ? 

Chaque voisin peut prendre part à l’évènement, de la cuisine au public. C’est un espace que l’on co-crée ensemble, qui est représentatif de qui nous sommes. Comme un cadeau pensé et construit à plusieurs mains. En parallèle, nous pensons toujours à ceux et celles qui ne participent pas. On fait donc en sorte de ne pas inviter un groupe de punk garage un dimanche à minuit… Après chaque évènement, nous mettons un petit mot dans les immeubles voisins avec notre mail. S’il y a des points de tension, ce qui est plutôt rare, on essaye de s’adapter. Cette authenticité, ce dialogue sincère est précieux. Car nous avons tous des besoins différents. C’est une vraie expérience du vivre-ensemble ! Nous sommes aussi soutenus et encouragés par nos propriétaires, ce qui d’emblée crée une unité dans l’immeuble et facilite les échanges.

La danse et le théâtre peuvent-ils s’inviter au programme ? 

Bien sûr ! La programmation est pluridisciplinaire. Nous avons déjà accueilli des styles de musiques très variés – jazz, rap musette, chanson française, musique du monde… Et du jonglage, du cinéma… Nous avons invité un jour un duo de danse improvisée, les Mori[c]hettes. C’était des amies de notre voisine du 3ème. Elles s’étaient amusées du nom de l’entreprise au fond de la cour « Greenlink », et avaient axé leur intervention sur la couleur verte. Les contraintes des éléments quotidiens et architecturaux deviennent support de création, source d’inspiration. La danse s’y prête tout particulièrement bien, car elle s’appuie sur l’espace et permet d’y porter un regard singulier, renouvelé. Dans les prochaines années, j’aimerais développer l’accueil d’expositions photos, gravures, peintures… Car dans nos voisins et amis, se trouvent un grand nombre d’artistes plasticiens faisant un travail remarquable.

Le confinement a t-il servi d’accélérateur de particules culturelles élémentaires ? 

Ce temps suspendu (c’est le cas de le dire !) a permis à chacun de revenir à soi, chez soi. Chacun s’est trouvé invité à rencontrer ses voisins, son quartier. Partout dans les villes du monde entier, les artistes ont donné des concerts aux balcons, dans les cours des immeubles où ils vivaient. Il y a eu de l’audace. De la générosité. Nous étions tout aussi avides de lectures, films, séries, et toute cette richesse culturelle qui nous donnait matière à penser et ouvrir notre imaginaire. Le concert suspendu d’après confinement a reçu un accueil incroyable.

Comment s’organise la programmation ? 

Jusqu’à présent, nous organisions un à deux événements par an, sur une après-midi/soirée. Comme un mini festival, avec une quinzaine d’artistes.  Depuis l’arrivée du Covid19 et la façon dont il est géré à l’échelle de la société, nous avons senti qu’il était essentiel de continuer à se rassembler, à créer des liens. Une façon de contrebalancer la distanciation en maintenant une vie sociale et artistique.

Nous avons pris le parti de créer un plus grand nombre d’évènements, mettant à l’honneur un seul groupe ou artiste par événement. Nous avons lancé un financement participatif pour que chacun puisse contribuer à notre première programmation estivale et faire grandir l’association en devenant membre. Une des contreparties du crowfunding est la retransmission en ligne de l’évènement. Avec même quelques surprises pendant l’évènement.

Qui peut venir jouer ? Les personnes du quartier ou tout artiste qui en fait la demande ? 

Les portes de la cour sont ouvertes sur la rue, et nous terminons souvent les concerts suspendus par une scène ouverte. C’est très important pour nous, que le public puisse circuler et tomber par hasard sur un évènement. C’est aussi une façon de réinventer les rapports  publics/artistes, par une certaine proximité. La programmation s’établit de manière collective. Chaque voisin peut se produire s’il est artiste, professionnel comme amateur, ou nous présenter des artistes qu’il connaît et apprécie. Ainsi, la programmation est souvent locale. Et amicale. C’est d’ailleurs notre slogan : « Par les voisins, et leurs amis, pour les voisins, et leurs amis ». 

Combien de personnes pouvez-vous accueillir ?

La cour peut accueillir une cinquantaine de personnes en public fixe. Les entrées et sorties permettent une certaine fluidité. L’un d’entre nous reste toujours près de l’entrée, mais tout cela se fait assez naturellement. Entre 150 et 200 personnes prennent part à chaque évènement. 

Comment réagissent les autres immeubles mitoyens et la municipalité ? 

En 2017, nous avons remporté le prix « Quartiers libres » de la Mairie de Paris, grâce auquel nous avons fondé J’irai créer chez vous. La maire du 10ème, et son premier adjoint ont pris part au concert suspendu d’octobre 2017. Un bel encouragement. Depuis que nous avons lancé la programmation estivale de cette année, nous rencontrons beaucoup de nouveaux voisins mitoyens qui viennent grâce à nos affiches dans le quartier ou au bouche à oreille. Nous rencontrons aussi des personnes qui ont envie de faire vivre leur cour et leur immeuble en accueillant un prochain évènement : c’est une grande joie !

Quels sont les projets à venir des concerts suspendus ?

Nous sommes une belle équipe de voisins à organiser ces évènements et réfléchir au développement de l’association. Franz, Alice, Blandine sont chanteurs et musiciens, et s’occupent aussi de la communication visuelle, partenariats avec les commerçants, relations publiques, site internet… Valentina nous met en contact avec des artistes, et va développer les relations presse. Marie et Gaspard sont de fidèles soutiens à toutes nos actions. Raymond a soutenu cette saison dans la partie photographie et vidéo. Toutes ces énergies sont complémentaires et nous permettent d’envisager une programmation d’événements artistiques suspendus dans de nouvelles cours pour la saison 2020-2021, ainsi qu’en extérieur ou en partenariat avec des structures locales. Nous avons également l’objectif de développer sur les prochaines années un volet d’action culturelle et d’enseignement artistique dans des lieux non dédiés. Devenir un Centre Culturel… itinérant !

Quand a lieu le prochain?

Alice et Franz, avec leur duo éclectique Dents de Si, clôtureront la saison dans leur cour. Ce sera dimanche 27 septembre prochain à 17h30, au 207 rue Lafayette, Paris 10ème. Mais il y aura peut-être quelques surprises avant le printemps prochain et notre programmation officielle, car les événements suspendus sont rapides et faciles à mettre en place. Suivez notre actualité sur Facebook, inscrivez-vous à notre newsletter via notre site internet : on vous dira tout !

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