Théâtrorama

Une rencontre sur un quiproquo…Un copyright de photo oublié a déclenché, à juste titre, les foudres sympathiques de Jérôme Delatour, photographe de danse contemporaine. L’erreur effacée, la curiosité de découvrir son travail m’a entraînée sur son blog où je me suis perdue avec plaisir…

Fresque Crédit photo Jérôme Delatour
Paco Dècina – Fresque Crédit photo Jérôme Delatour

Qu’est-ce qui vous a amené vers les sentiers de la danse et vers ceux de la photographie de la danse ?

Une sensibilité particulière, relative à mon corps et à son interaction, sensuelle ou conflictuelle, avec son environnement. Puis, en y réfléchissant, le sentiment que la danse, en mettant le corps au coeur de ses préoccupations, est l’art politique par excellence. Car nous avons tous un corps avec lequel nous devons nous débrouiller coûte que coûte, et ce corps est notre première interface avec le monde, la cité. Ceci m’a orienté naturellement vers la danse contemporaine, dont le champ d’expérimentation est extrêmement large et ouvert ; mais je serais curieux d’explorer avec le même œil la danse classique ou les danses folkloriques. Et il se peut que j’en aie bientôt l’occasion… Plus concrètement, c’est le festival Vidéodanse de Pompidou, au milieu des années 1990, qui m’a permis de comprendre ce que la danse contemporaine pouvait m’apporter. J’ai de multiples raisons de m’être tourné vers la photographie de danse. Archiviste et historien de formation, bibliothécaire de métier, je ressens le besoin d’une activité créatrice que mes activités professionnelles ne m’offrent guère. Par ailleurs, en tant que spectateur, je ne supporte pas, et de moins en moins, l’idée de rester passif, de n’être qu’un consommateur. Mes comptes rendus de spectacles sont un premier moyen de sortir de la passivité pure, la photo en est une autre. Et je ne compte pas m’arrêter là !

Qu’est-ce qui guide vos choix vers un spectacle en particulier ?

De plus en plus, le hasard et les opportunités. Et notamment, maintenant que je fais de la photographie, celle d’une prise de vues. Autrefois, j’avais un gros abonnement au Théâtre de la Ville ; aujourd’hui je le limite au strict minimum. Le Théâtre de la ville est devenu le château de la Belle au bois dormant. Ce n’est pas (plus ?) là que se fait la danse contemporaine ; j’aime bien mieux fréquenter Micadanses, le Point Ephémère, Mains d’Oeuvres, le Théâtre de la Cité internationale, les festivals Faits d’hiver, Artdanthé, lieux et événements avec lesquels les relations sont plus ouvertes et plus actives, aussi bien avec les programmateurs qu’avec les artistes, et les œuvres plus novatrices. Le Théâtre de la ville sert de consécration aux artistes arrivés, cela ne m’intéresse guère. Je dois ajouter que j’ai la chance depuis quelques mois de pouvoir assister aux générales du centre Pompidou et que c’est un grand bonheur pour moi. La programmation de Pompidou est pointue, exigeante, et les générales réglées comme du papier à musique. Ce n’est pas un hasard si les photographes s’y pressent ! Quand je choisis un spectacle, il m’est très difficile de dire exactement pourquoi. J’y vais pour un chorégraphe dont je connais déjà le travail, dont le travail m’intrigue ; ou pour une thématique, une esthétique qui me parlent, comme la simplicité, le corps nu, sexué, archaïque (pour moi le seul corps de la danse), sa densité troublante, son dialogue avec le temps et les objets… A l’inverse, je ne suis guère attiré par la virtuosité, le formalisme. J’aime que la danse parle.

Fresque Crédit photo Jérôme Delatour
Paco Dècina – Fresque Crédit photo Jérôme Delatour

Comment travaillez-vous avec les danseurs ? Avec le metteur en scène ?

Pour l’instant, j’interviens presque toujours sur le produit fini. Je reste donc le plus souvent étranger aux artistes ; chacun fait ce qu’il a à faire dans son coin. Mais il m’est arrivé d’intervenir en amont. La prise de risques est alors plus grande ; l’investissement en temps supérieur, et les chances d’aboutir incertaines : la pièce ne se fera peut-être pas, les photos ne pourront peut-être pas être diffusées. Les danseurs sont des gens ouverts, sinon accueillants. Je pense qu’il y a beaucoup de timidité de part et d’autre. Nos milieux sont si différents ! Il va de soi que ces prises de vues sont bien plus intéressantes.

Suivez-vous les répétitions pas à pas ou assistez-vous seulement aux générales ?

J’ai eu quelques expériences en répétitions. Le manque de disponibilité, puisque j’exerce cette activité en amateur, ne m’a pas permis d’en tirer ce que j’aurais voulu. La seule expérience concluante a été, dernièrement, mon travail avec la compagnie de Paco Décina pour la création de Fresque. A cette occasion, j’ai produit trois séries de photographies très différentes qui montrent bien, je crois, certaines étapes de la création d’une pièce. Précisons qu’en danse contemporaine, les générales ne sont pas si fréquentes. J’opère donc souvent à l’occasion d’une répétition ou d’un filage.

Qu’est-ce qui vous touche dans les photos de danse ?

D’abord la prise de vues. Comme, généralement, je ne sais pas ce que je vais photographier, j’ai une forme de trac. Vais-je arriver à sortir quelque chose ? Ne vais-je pas rater l’instant décisif (cela arrive !) ? Ensuite, avec l’appareil photo, on ne regarde pas du tout un spectacle de la même manière. Le viseur est comme une oeillère. On peut en décoller l’oeil, mais au risque de manquer une photo. Il faut le faire cependant, de temps en temps, pour se rendre compte de l’ensemble de la scène. Avec l’oeil rivé à l’oeilleton, on suit les danseurs dans leurs déplacements, on danse soi-même. Et j’ai le sentiment confus d’une proximité particulière avec les danseurs ; j’évolue avec eux, et comme eux je n’ai pas une vision complète du spectacle. Au début, par habitude d’autres sujets, comme l’architecture, je prenais soin d’obtenir une image bien droite. C’est en regardant les photos de mon ami Eric Boudet que j’ai compris l’énormité de mon erreur : en photo de danse, au contraire, il faut suivre le mouvement, penser d’abord à ce qu’on a dans le cadre. La scène peut se retrouver en diagonale, ça n’a aucune importance. Au contraire, les photos y gagnent en vie. La photo de danse est extrêmement contraignante, et l’on sait que la contrainte est utile aux artistes. On ne choisit pas toujours sa place, on ne peut pas toujours déambuler pendant la prise de vues, souvent la scène est trop sombre ou bien l’éclairage hostile. De plus, dans le cas d’une générale, il n’y a qu’une prise de vues. Il faut décider dans l’instant, très vite : quel cadrage, quelle vitesse… ? Il faut accepter ces limitations comme un défi. Mais c’est aussi une invitation à une forme d’abandon, et à l’humilité.

Ensuite, le traitement photographique. Les possibilités sont infinies, et des choix sont à faire à chaque étape : sélection des photographies, type de traitement, recadrage.

Enfin, le résultat. L’image de danse n’a rien à voir avec le spectacle. C’est autre chose, qui laisse voir ce que l’on a au mieux perçu inconsciemment au moment la performance. La photographie suspend le temps, elle crée des chimères. C’est magique et terrifiant.

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Kataline Patkaï, Yves-Noël Genod, C’est pas pour les cochons ! Crédit photo Jérôme Delatour

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans votre travail ?

Le manque de temps. Le matériel de prise de vues qui n’est jamais à la hauteur de ce que l’on voudrait. Ma timidité. Mon statut hybride, qui m’a rarement ouvert des portes !

Comment peut-on arriver à saisir le mouvement en photo ?

Il n’y a rien de plus simple ! Par essence, la photographie saisit le mouvement. C’est sa limite et sa grâce. Exprimer le mouvement saisi (c’est ce que vous vouliez dire, bien sûr), voilà sa gageure. La photographie offre grosso modo trois manières d’y arriver : figer totalement un mouvement avec une vitesse élevée (à partir d’1/125 s – tout dépend évidemment de la vitesse du mouvement photographié), option qui donne des photos parfaitement nettes mais ne rend guère l’impression de mouvement ; le figer partiellement, c’est le choix le plus courant, qui combine en une image fixe une petite séquence de mouvements ; enfin travailler à vitesse lente, pour obtenir des effets de traîne ou de filé. Cette dernière solution est très aléatoire mais peut produire des effets spectaculaires et inattendus. Bien entendu, bien d’autres facteurs entrent en ligne de compte qui font qu’une image sera plate ou pleine de vie : le choix de la profondeur de champ, l’usage adroit du flou. Préférer l’image ratée techniquement mais chargée d’émotion à l’image parfaite et plate. Ne pas travailler au pied, aussi, pour mieux accompagner le mouvement des danseurs. J’aime bien me placer assez bas par rapport à eux, quitte à m’asseoir par terre. Il me semble que c’est le point de vue qui nous rapproche le plus d’eux.

Avec quel appareil travaillez-vous ?

Je ne travaille qu’en numérique. J’ai commencé avec un petit appareil grand public (Canon Powershot A700), bientôt remplacé par un bridge (Panasonic FZ18). Faire des photos avec ce genre de matériel tient de la gageure : leur autofocus est beaucoup trop lent, la qualité de leur image, pour ce genre de prise de vues, catastrophique. Le seul avantage des bridges, outre qu’ils sont silencieux, réside dans leurs zooms extrêmement puissants, allant du grand angle au téléobjectif. Mais les reflex sont en pleine évolution et il faut s’attendre à de grandes surprises dans les années à venir. A présent, je suis passé à un reflex semi professionnel (Canon Eos 40d), mon appareil actuel. J’utilise principalement deux excellentes focales fixes, peu onéreuses, un 50 mm f/1.4 et un 85 mm f/1.8. L’absence de zoom oblige à bien choisir sa place ou à se promener dans les gradins quand c’est possible ; mais en termes de compacité, de luminosité et de qualité optique, les focales fixes sont imbattables, et de ce fait très agréables à utiliser. Un grand-angle me fait défaut. J’aimerais beaucoup me rapprocher davantage des danseurs. Dès que j’en aurai les moyens, j’achèterai sans doute un Canon Eos 5d Mark II, le 40d donnant des résultats assez médiocres à 3200 et 6400 iso (essentiellement à cause de ce qu’on appelle en anglais banding noise), sensibilités que je dois employer très fréquemment.

Quelle évolution observez-vous dans les spectacles de danse ?

Une dizaine d’années d’observation ne me permet pas d’en percevoir. La danse contemporaine est trop diverse. Je ne peux que recommander la lecture du blog de Jean-Marc Douillard, Danse à Montpellier, dont l’expérience est plus ancienne, et qui a son idée sur la question.

Régine Chopinot, Cornucopiae Crédit photo Jérôme Delatour
Régine Chopinot, Cornucopiae Crédit photo Jérôme Delatour

Pourquoi ne pas avoir élargi au théâtre ?

Parce que le corps est ma première préoccupation. Et parce que je n’ai pas le temps de voir tout ce que je voudrais voir. Je recherche le corps intime et primitif, quelques grognements me suffisent. Du reste, je n’ai pas besoin de rappeler que les frontières entre danse et théâtre n’ont jamais été aussi poreuses qu’aujourd’hui.

Quand vous commencez par suivre un spectacle d’une compagnie, est-ce que vous récidivez avec la même compagnie par la suite ?

Cela dépend évidemment de l’intérêt que je lui porte ! Mais aussi des liens qui peuvent se nouer en coulisses. L’attitude des chorégraphes vis-à-vis de la photo est extrêmement variée. En règle générale, j’ai l’impression qu’ils n’y sont guère sensibles. Certains lui sont même hostiles. Soit par principe, soit par crainte de dévoiler certains ressorts de leurs pièces. Certains souhaitent tout contrôler. Ce peut être extrêmement frustrant pour le photographe. D’autres ne voient au contraire aucun inconvénient à donner plus de visibilité à leur travail.

Avez-vous déjà pensé à faire un recueil de vos photos ?

C’est sans doute encore un peu tôt ! Je ne fais que débuter, j’ai beaucoup à apprendre. Mais pourquoi pas, bien sûr. Avant cela, je pense à la possibilité d’une exposition… mais je ne suis pas pressé. Une chose est sûre, je m’éloignerai progressivement de la photo de presse traditionnelle pour produire des images plus subjectives, plus personnelles, et ceci impliquera sans doute que je resserre mes liens avec les compagnies que je connais, afin de n’être pas obligé de coller à l’image qu’elles souhaitent donner de leurs spectacles.

Il y aurait une exposition fantastique à faire de la photo de danse moderne et contemporaine des années 1930 à nos jours. A n’en pas douter, ce serait un vrai travail de défrichage. La photographie de danse contemporaine est un art très jeune qui doit encore conquérir ses lettres de noblesse et trouver ses photographes. Il y en a sans doute quelques-uns ; il n’y en a pas assez et il faut que je m’intéresse à eux à présent, je ne l’ai pas encore fait sur mon blog.

 

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