Frédéric Maurin, conteur un brin bonimenteur
Entre 1995 et 2016, Frédéric Maurin a parcouru le monde entier avec « Dibouji ». Mystérieux personnage aux allures de troudabour, conteur un brin bonimenteur, il se présente à nous lorsque l’on allume « dix bougies ». Avant qu’ils ne grandissent, les enfants de la Terre lui ont confié leurs boîtes contenant histoires, rêves et rires… Partage avec le comédien d’un des premiers spectacles jeune public invité au Festival MARTO !
Comment le spectacle a-t-il été reçu à ses débuts, il y a vingt ans, en tournée internationale ?
Frédéric Maurin : C’était très particulier. Je me souviens, la première représentation en anglais, c’était en Nouvelle-Zélande. Il n’y avait que des adultes, car ce spectacle a aussi beaucoup joué pour des adultes. Pendant le spectacle il y avait un silence de pierre tombale, je me suis dit qu’ils ne comprenaient rien à ce que je disais… et quand je suis revenu de derrière le rideau à la fin du spectacle, tout le monde était debout. C’était un monde qu’ils n’appréhendaient pas du tout. De plus, un monde très empreint d’art « brut ». Il y a une grande puissance évocatrice à l’intérieur des objets qui sont proposés, qui vont au-delà de la simple plastique et du simple théâtre de marionnettes. Et puis le texte va beaucoup plus loin que ce qu’on pense, il est poétique mais assez profond. Aujourd’hui encore, ce spectacle est assez innovant, il fait bouger les lignes.
Dans quel sens ?
FM : Ça fait bouger les lignes dans le rapport au spectacle et dans le rapport au spectateur, et surtout, dans le rapport au merveilleux. Il y a peu de spectacles qui ont la puissance du merveilleux. Cette part du merveilleux, c’est surtout dû à un coup de magie, parce qu’on ne sait jamais trop où on va quand on crée. C’est dû à une chose qui reste en nous. On a tous des trésors à l’intérieur de nous, matériels ou immatériels. Si à un moment donné du rapport, là, dans l’intimité, je vous ai renvoyé à ça par le merveilleux ou par la forme d’expression qu’on a, vous vous êtes ré-enchantée vous-même et ré-émerveillée.
Quelles ont été les évolutions dans la création ?
FM : Au départ, le dispositif scénique devait être rond, puis on l’a mis rectangulaire pour des questions pratiques. Il devait aussi y avoir de la musique. Elle a été abandonnée car on s’est aperçu que chaque objet produisait sa propre musique, dans sa manipulation et dans la façon dont il investissait ce spectacle. Dans ce dispositif, il y a trois phases importantes. Il y a une phase d’évocation, au départ, on peut se demander : « Qu’est-ce que ce type nous raconte ? » L’évocation laisse un flou, quelque chose à imaginer. Ensuite il y a une phase de révélation au moment où on va ouvrir les boîtes et où on va amener les objets au public. Les objets vont tous rentrer en scène d’une façon différente, ça c’est une partie de l’écriture dramaturgique qui est très importante. Je réalise un gros travail d’éclairagiste dans ce spectacle, je bouge de 10, 15, 1, 2, 3 cm qui me permettent d’ajuster ma position pour créer la lumière, créer l’ombre, créer la découpe. Ensuite, il y a la phase de manipulation et d’interprétation.
Comment réagit le jeune public d’aujourd’hui ?
FM : Ce spectacle est posé sur une lenteur, il y a des silences, des temps, parce qu’il faut laisser à l’imaginaire personnel et à son intimité le vagabondage nécessaire en intérieur, pour pouvoir préparer un réceptacle au merveilleux. Le merveilleux n’arrive pas comme ça, il se construit. Un des problèmes avec les jeunes d’aujourd’hui, c’est qu’ils ont des difficultés à se concentrer, ils ont tendance à « zapper ». Dans les familles, la construction des mythes laïques, des émerveillements, religieux ou autre, n’existe quasiment plus. Le rapport au Père Noël, à la petite souris, aux cloches de Pâques… C’est du merveilleux, la petite souris ! On prive les enfants de ça. C’est en train de disparaître petit à petit, tranquillement. On est sur un consumérisme fort.
Quelle réponse y apportez-vous ?
FM : Je n’en donne justement pas. Jamais. C’est dans le rapport au public que je travaille le merveilleux. En leur faisant se poser des questions. Si l’enfant me demande, « Comment t’as fait ça, t’es qui, c’est quoi ton téléphone que tu utilises pendant le spectacle, est-ce que c’est des vrais enfants qui t’ont fait les trésors ou pas ? » Je lui réponds « Débrouille-toi, c’est à toi de gérer ça ». Et là, je pense que l’enfant va se reposer la question. Il va partir avec son petit bagage à lui de merveilleux, il va y croire. Nous tous, les êtres humains on a besoin de ça, c’est pour ça qu’on est confrontés à l’art, c’est ça qui nous plaît dans l’art, c’est cette magie. Dans la marionnette, ce qui me passionne, c’est ce rapport à la vie et à la mort, à l’inerte et à l’animé, cette frontière ? Je mets juste la main sur la marionnette, sans la manipuler, et d’un seul coup vous vous dites, elle est en vie. C’est génial, c’est le mystère de la vie !
Quel rapport entretenez-vous avez ce spectacle ?
FM : Intime. Très intime et fusionnel quelque part. C’est un délice de vous regarder, vous, spectateurs, spectatrices, de vous voir dans les yeux, de voir les moments de plaisir à partager.
Les Trésors de Dibouji
De Roland Shön, compagnie Théâtrenciel
Interprétation : Frédéric Maurin
Crédit photo : Siloe
Vu au Théâtre Jean Arp de Clamart dans le cadre de MARTO !
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