Théâtrorama

François Alu 2/3 – l’Opéra de Paris

François Alu 2/3 - l’Opéra de ParisDans les coulisses du Ballet de l’Opéra de Paris. On apprend, entre autres, que François Alu a des étoiles plein les yeux (et une Étoile dans le viseur), qu’il ne digère pas le lait mais adore le poulet fermier, et qu’il a une admiration sans bornes pour  Jiří Kylián, William Forsythe ou encore Aurélie Dupont.

Tout le monde vous voit comme la future Étoile du Ballet de l’Opéra de Paris. Comment vit-on avec cette pression ?
François Alu : Tout cet engouement me fait très plaisir, mais je suis mon premier juge et critique, et ne suis presque jamais content de mes performances. J’aimerais bien sûr beaucoup être Étoile. Je n’ai que vingt-deux ans, mais certaines Étoiles ont été nommées très jeunes… et je ne pense pas que ce soit une question d’âge.

Je suis rentré à l’Opéra en 2010. En 2011, je n’ai pas passé de concours, conformément aux règles de l’école. Puis je suis vite monté en grade les années qui ont suivi. Le fait d’avoir dû patienter deux ans entre mon arrivée et le premier concours m’a appris à savoir prendre mon temps. Il n’est pas rare que les danseurs à l’ascension fulgurante connaissent de gros passages à vide une fois le sommet atteint, le goût de la victoire s’effaçant peut-être un peu… Le fait d’attendre est donc une bonne chose car cela m’a fait mûrir. Je sais aujourd’hui que j’ai envie de devenir Étoile ; je travaille très dur pour cela, et advienne que pourra !

Outre la question habituelle « Pourquoi dansez-vous ? », on aurait envie de vous demander « Pour qui dansez-vous » ?
François Alu 2/3 - l’Opéra de ParisFrançois Alu : L’objectif est vraiment de me perfectionner en tant que danseur, afin que le public voie des choses intéressantes. Parfois, un rôle pourra moins m’intéresser, me mettre dans un état de souffrance ou être difficile pour moi à interpréter, mais peu importe : je vais le défendre à 100%. Non pas uniquement pour contenter les spectateurs, mais aussi dans le but de leur faire redécouvrir ce rôle et ce spectacle, comme si c’était la première fois qu’ils les voyaient.

Cela a récemment été le cas avec Mercutio de Roméo et Juliette. Comme je ne connaissais pas ce rôle avant la distribution, j’ai beaucoup lu, me suis documenté en amont, ai visionné des ballets, suis allé voir la pièce donnée à la Comédie-Française et ai énormément travaillé avec Lionel Delanoë. J’ai cherché à capter ce personnage de part en part, jusqu’à connaître ses pas et ses attitudes par cœur, que j’ai essayé de respecter au maximum tout en y apportant ma touche personnelle et en l’actualisant, en me détachant notamment des pantomimes qui peuvent être très archaïques.

Quelle est votre journée type dans la compagnie ?
François Alu 2/3 - l’Opéra de ParisFrançois Alu : Je me réveille habituellement vers 9h, puis je prends un petit déjeuner très sain – j’oublie le lait par exemple qui est très acide et difficile à digérer – composé de pain, de poulet fermier, de fromage, d’œufs et d’énormément de fruits. Je vais ensuite à l’Opéra pour les cours de 11h ou de 11h30, ou alors je vais m’entraîner tout seul.

Lorsque je répète des premiers rôles, j’aime commencer ma journée seul car il me faut ensuite tenir le rythme des répétitions sur toute la journée. Si je décide de suivre le premier cours à l’Opéra, pour lequel je suis déjà au maximum de mes capacités, le reste de la journée est difficile à suivre !

C’est une erreur que j’ai faite l’année dernière et je me suis blessé à cause du rythme trop effréné. Deux services reprennent ensuite à l’Opéra de midi à 13h30, puis jusqu’à 16h avant le déjeuner. Selon les danseurs, la journée peut s’arrêter là, ou bien les répétitions reprennent de 16h30 à 19h. À cet emploi du temps ”type” s’ajoute parfois des répétitions jusqu’à 21h pour des rôles de soliste, des répétitions de concours, ou bien pour des créations personnelles. C’est une chose que j’adore car cela permet de varier. J’aime débuter le matin avec une page blanche à la place du cerveau, où j’ai l’impression que tout est à créer ! Toutes les répétitions de la journée stimulent différentes parties du cerveau et s’alimentent entre elles.

Quelle est l’ambiance à l’Opéra de Paris ?
François Alu 2/3 - l’Opéra de ParisFrançois Alu : Lorsque l’on entre à l’Opéra, on est comme un bébé, à s’émerveiller de tout. Puis on voit très vite l’envers du décor, fait de choses magnifiques et d’autres un peu plus sombres, comme dans toute institution ou entreprise. On dit souvent que le Ballet est une ”grande famille”, ce qui est tout à fait exact : comme dans toutes les familles, il y a des tensions et des problèmes. Nous sommes 154 danseurs, et tous les maîtres de ballet pour nous mettre en confiance et nous faire progresser.

Même si l’on ne peut apprécier tout le monde, nous travaillons tous pour notre maison commune et sommes liés. Je suis très content de l’arrivée d’Aurélie Dupont à la tête du Ballet de l’Opéra, car elle a des valeurs de travail que je respecte beaucoup. Elle s’est toujours dépassée, c’est une battante et je suis très respectueux de sa carrière qu’elle a su très bien gérer. Elle a un amour profond pour les danseurs et pour cette maison qu’elle connaît par cœur. Elle a envie de nous défendre et de nous amener à repousser nos limites.

J’aime débuter le matin avec une page blanche à la place du cerveau, où j’ai l’impression que tout est à créer !

Quels seront vos grands rôles pour cette rentrée ?
François Alu 2/3 - l’Opéra de ParisFrançois Alu : Le programme n’est pas tout à fait établi. Je sais que je serai dans Le Lac des cygnes, mais je ne sais pas encore pour quel rôle. Ce qui est sûr, c’est que je danserai à nouveau dans la création de William Forsythe – un souci au mollet m’avait empêché de trop y participer l’an dernier. Je reprendrai une partie solo et un duo, avec une grande part d’improvisation qui m’enthousiasme !

 Je ferai ensuite du Balanchine. Et j’ai récemment été rajouté sur The Season’s Canon de la Canadienne Crystal Pite, ce qui me remplit de joie ! Je pense que ce sera l’un des plus beaux moments de ma carrière sur la scène de l’Opéra ! Sa danse, un mélange de styles, est très extrême et animale – c’est très précisément ce que j’adore. Au travail, c’est une chorégraphe adorable qui est extrêmement bienveillante et rigoureuse mais sans jamais hausser le ton. Le corps est courbatu, mais je me plierais volontiers en mille pour répondre aux exigences de chorégraphes aussi talentueux ! Puis nous prévoyons une tournée au Japon à laquelle je participerai. Et dans quelques jours, nous partons au Luxembourg pour un spectacle qui s’intitule Désordres de Samuel Murez. Il a déjà tourné dans le monde entier ou presque : au Canada, aux États Unis, en Argentine, dans quasiment toutes les grandes villes de France…

Le message délivré est très ludique, autour de personnages qui s’entremêlent et de tableaux narratifs. Il interroge la notion d’équilibre à trouver entre créativité et rigueur. Souvent, lorsque nous sommes trop créatifs, il est difficile de se cadrer, et inversement : trop de rigueur bloque la création. C’est à la fois de la danse, du théâtre, du cinéma… une grande place est faite à l’imaginaire. Puis je prévois de retourner à Bourges, dans ma ville natale, pour une autoproduction. Ce sera un nouveau spectacle et j’ai besoin d’encore un peu de temps pour le conceptualiser, mais je pense pouvoir le finaliser pour 2018.

Quels rôles rêveriez-vous d’interpréter ? Et avec quelles danseuses en dehors de l’Opéra ?
François Alu 2/3 - l’Opéra de ParisFrançois Alu : J’adore jouer les méchants. Je trouve que ce sont les rôles les plus riches et complexes, comme dans le cas de Mercutio par exemple. Il faut composer avec sa partie dramatique et sa profondeur. Un grand rôle romantique pourrait être génial, aussi, avec pour partenaire Ida Praetorius que j’apprécie beaucoup.

Elle a été nommée Étoile au Danemark il y a peu, et nous avons un parcours assez similaire : nous avons intégré nos compagnies en même temps, avons été nommés au différents grades en même temps… Sauf qu’elle a été plus rapide que moi pour obtenir son étoile ! Elle a plusieurs cordes à son arc, est pleine d’énergie ; c’est une danseuse exceptionnelle et très solaire que j’apprécie humainement. J’adore également Alina Cojocaru [Étoile à l’English National Ballet, ndrl] et toutes les danseuses qui ont énormément de personnalité.

Et avec quels chorégraphes ?
François Alu : Le premier chorégraphe avec lequel j’ai travaillé est Samuel Murez, et je considère que c’est le must ! Il me connaît très bien et il connaît mes capacités. Il sait ce que j’aime. C’est une personne très intègre, fidèle à ses idées, qui fera toujours tout pour servir son œuvre ou une œuvre du répertoire tout en s’adaptant à la personne qui se trouve en face de lui. C’est avec lui que j’ai vécu mes plus belles expériences. Il m’a en quelque sorte pris au berceau : j’ai commencé à 16 ans avec lui et il n’a jamais douté de moi.

Il est plus qu’un chorégraphe pour moi, c’est une sorte de mentor. Sinon, mon top 3 des chorégraphes serait composé de Kylián, Mats Ek et Forsythe, que j’ai déjà eu la chance de côtoyer. J’apprécie aussi Édouard Lock, tous ceux qui s’inscrivent dans la lignée de Kylián, et j’ai une profonde admiration pour le travail d’Alexander Ekman qui est brillantissime, et a un véritable œil d’artiste. Ce serait mon rêve de pouvoir travailler avec lui !

(à venir 3/3 : Au-delà de la danse)

Crédit photo: Julien Benhamou

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