Théâtrorama

Zoom sur Didier Ruiz

Didier Ruiz et les « invisibles »Une longue peine – Didier Ruiz – C’est un théâtre-documentaire, un théâtre d’expérience, de témoignage. Un théâtre en lien direct avec ses origines linguistiques grecques, theatron : le lieu d’où l’on voit. Le théâtre de Didier Ruiz constitue l’un des rares espaces de notre société contemporaine où il est possible d’applaudir des personnes qui nous livrent, de manière simple et authentique, leur expérience de longues années de prison ou de parloir.

Didier Ruiz, comment en êtes-vous venus à travailler avec des détenus ?

Didier Ruiz : Bernard Bolze, le fondateur de l’Observatoire International des prisons, m’a soufflé l’idée, un soir d’une générale à laquelle il avait assisté. Il se trouve qu’un mois après, j’ai passé moi-même une nuit en prison en Turquie, et que cette expérience m’a suffisamment marqué pour me refaire penser à cette conversation que j’avais eu avec lui. En rentrant à Paris, je l’ai rappelé, et le projet est né comme ça. L’expérience d’enfermement a été très forte pour moi. Une nuit, c’est pourtant ridicule comparé à trente-cinq ans, ou à vingt ans. Mais pour moi, ça donnait quelque chose de concret. Je savais un tout petit peu ce que ça voulait dire, être enfermé entre quatre murs dans une surface minuscule et privé de tout.

De quelle manière avez-vous rencontré les comédiens qui sont au plateau ?

Didier Ruiz et les « invisibles »Didier Ruiz : grâce à plusieurs réseaux, dont celui de Bernard Bolze qui connaît beaucoup de gens dans ce milieu-là par son expérience à l’Observatoire des Prisons. On a également interrogé des structures de réinsertion, à Lyon, à Marseille et à Paris, qui nous ont orientés vers des personnes. Parmi ceux que j’ai vu, j’ai gardé ceux qui me semblaient être le plus capable de faire ce travail-là et de le faire dans la longueur surtout, car c’est un projet pérenne qui sera encore repris la saison prochaine. Il fallait qu’ils aient envie de s’engager dans un espace qui n’est pas le leur. Le choix s’est aussi fait par défaut, car il faut savoir que les gens qui sortent de longue peine sont souvent très abîmés.

De quelle manière travaillez-vous, pour qu’émerge la parole de ces personnes ?

Didier Ruiz : Il n’y a pas de texte «écrit », dans le sens où on l’entend, c’est-à-dire de retranscription textuelle de ce qu’ils pourraient dire au plateau. Je travaille avec un procédé que j’ai mis en place depuis des années, que j’appelle « la parole accompagnée ». Au cours d’entretiens, hors plateau, je pose des questions, les gens me répondent, et j’identifie des réponses. Ces réponses, je les garde en mémoire et quand on passe au plateau je leur demande de me la restituer de nouveau. On se retrouve donc dans un autre temps, « brut de décoffrage » et sans le contexte initial. Et c’est cette parole-là, cette réponse-là qui reste vivante et qui est convoquée à un moment donné sur le plateau.

Vous avez également mis en œuvre ce procédé lorsque vous avez travaillé avec des personnes âgées, ou issues de banlieues, de milieux ruraux… Les personnes présentes au plateau ne sont pas nécessairement des professionnels. En quoi cette approche vous permet ou vous aide à porter une parole, un sujet ?

Didier Ruiz et les « invisibles »Didier Ruiz : Cela fait partie de mon rôle d’artiste d’interroger la société, dans ses forces vives, c’est à dire avec les gens qui la constituent, pour en rendre compte. Pour être témoin de mon époque et proposer un instantané au public, à travers le filtre du théâtre évidement, puisque c’est cet espace-là que j’ai choisi comme moyen d’expression. Pour faire entendre au spectateur une parole forte, parce qu’elle l’est toujours, et une parole qui soit aussi réflexive, qui entraîne une réflexion, et qui nous renvoie à notre place à nous dans cette société-là. Je ne parle pas que de la société française, je parle du monde en général. Ce qui m’intéresse, vous l’avez compris, est « comment rendre visible l’invisible ? » Il y a peu, j’étais amené à me plonger de plein fouet dans la problématique des transgenres. Ce sera l’objet d’un nouveau spectacle qui verra le jour en mai 2018. Je vais questionner le genre, et du coup, la normalité, et du coup, la monstruosité. Est-ce qu’elle est chez l’autre, ou chez soi ?

C’est précisément dans cet aller-retour entre les humains présents sur scène et ceux dans le public que l’on finit par se reconnaître…

Oui, c’est ma manière à moi de faire du théâtre, et de faire également de la politique. Janvier 2017 est un tournant important. Dans quatre mois, on sera amenés à mettre un petit papier dans une urne. Je me dis, « Regardons les programmes de ces chers candidats, qu’est-ce qu’ils nous promettent en matière de justice ? » Si leur réponse est de construire de nouvelles prisons avec des milliers de cellules, ils n’ont pas encore tout à fait compris le problème. Ce n’est pas possible qu’en 2017, on s’obstine encore à vouloir construire encore des prisons.

Une longue peine
Mise en scène : Didier Ruiz
Avec André Boiron, Annette Foëx, Eric Jayat, Alain Pera, Louis Perego
Crédit photo : Emilia Stéfani-Law
Plus d’infos : La Compagnie des hommes 

À la Maison des Métallos jusqu’au 15 janvier

En tournée (dates en cours de validation):
17 octobre 2017 : Ollioules (83) – Scène nationale de Châteauvallon
Du 26 au 28 octobre 2017 : Lyon (69) – Les Subsistances (dans le cadre du Festival Sens Interdits)
Octobre 2017 : Oloron Sainte Marie (64) – Espace Jéliote
28 novembre 2017 : Fontenay-sous-bois (94) – Fontenay en scènes
1er décembre 2017 : Chevilly-Larue (94) – Théâtre André Malraux
Les 23 et 24 janvier 2018 : Evry (91) – Théâtre de l’Agora, Scène nationale d’Evry et de l’Essonne
26 janvier 2018 : Villejuif (94) – Théâtre Romain Rolland
Les 16 et 17 mars 2018 : Nantes (44) – Le Grand T

 

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