Théâtrorama

Le Théâtre de la Huchette est un lieu minuscule situé en plein coeur du Quartier Latin à Paris, mais il détient un record mondial absolu dans le monde du spectacle: depuis plus de 60 ans sont jouées, sans interruption, deux pièces de Ionesco, “La leçon” et “La cantatrice chauve” qui à ce jour comptent 18500 représentations, dans ce même lieu.   

C’est ici que l’autrice et interprète Marina Tomé a posé ses bagages durant quelques mois pour jouer La Lune en plein jour, une pièce qui raconte avec un humour aigu et une grande générosité sa reconstruction intérieure.

Blessures identitaires

Rassembler les morceaux épars d’une vie qui commence par une question de sa fille qui s’interroge sur ses origines. Comment y répondre quand on vit en France, mais que sa vie est marquée par la perte du pays de l’enfance et quand cet exil a commencé bien avant votre naissance ?

Mais de quoi se plaindre “quand on a une maison, que l’on mange à sa faim et que l’on peut faire des études sans numerus clausus” ? La première blessure identitaire que Marina Tomé évoque dans une première partie, c’est celle de ses grands-parents chassés de Pologne par le nazisme et qui s’exilent en Argentine où elle naît. L’arrivée de la dictature dans son pays de naissance chasse ses parents et les contraint, à leur tour, à quitter l’Argentine pour la France. Le second évènement marquant de sa vie sera un accident où elle frôle la mort. Ce qui la mettra en route vers elle même pour se reconstruire et savoir enfin qui elle est.

Écrire pour retrouver le sens

“Donner du sens, combler le vide et repousser “l’alien” qui pousse dans son ventre, recréer le lien et les points d’appui”… Conduite par son intuition, s’appuyant sur les souvenirs des lignées de femmes qui l’ont précédée, Marina Tomé se met en quête d’elle-même, comblant, avec ses mots, les non-dits et les incompréhensions qui naissent des silences. “La vie est un inconscient qui cherche à se réaliser comprend-elle, le temps est une spirale, un trou dans l’espace temps qui nous conduit vers la mort”. Rien de triste ou de désespéré dans ces constatations, mais au contraire une voie qui la mène à “la réunification de ses territoires épars”, à retrouver une terre intérieure pour y enterrer les souvenirs et écouter ce qui n’a pas pu s’exprimer.

La langue, les rythmes du tango argentin évoquent les espaces du pays laissé, construisent une autre géographie qui permet de grandir et de transmettre, de trouver une légitimité qui chasse la peur de déranger pour enfin trouver sa place. 

La mise en scène d’Anouche Setbon accompagne dans une grande discrétion et une belle écoute l’actrice qui “marche sa parole” aidée en cela par une scénographie minimaliste qui évoque les déplacements et les départs. 

Des malles éparses sur le plateau, contiennent tous les trésors des mondes multiples que transporte l’exilé. Les airs de tango fredonnés par l’actrice rythment les mouvements et les mots qui s’entrechoquent, se culbutent en français ou en espagnol. Un miroir déformant  évoque le fantasme et l’irréalité dangereuse du chemin à suivre. Les idées surgissent, s’agencent et se parent de sens au fil des émotions et des signes que la vie offre en fonction de ses compréhensions et selon les retrouvailles avec soi-même. Le récit suit la courbe de la spirale plutôt que la ligne droite et la chronologie. Le sens surgit à travers les rêves ou les rencontres fortuites.

Dans quelle lignée nous inscrivons nous? Comment mettre ses pas dans ceux des générations précédentes lorsque la cassure, la fêlure,la perte du territoire rompent la chaîne des devenirs ? Avec une distance pudique et sans donner de leçons, Marina Tomé trace un chemin, le sien. Elle nous l’ offre comme un miroir pour nous inciter à trouver le nôtre en osant affronter nos profondeurs, nos secrets et nos impossibilités à dire. Pas à pas, dans ce spectacle émouvant, quelle que soit notre histoire, sa parole défriche, encourage à soulever les pierres de nos incompréhensions, de notre mal à dire. La conclusion de ce spectacle est celle de l’expérience sincère de l’autrice-interprète : revisiter les blessures, se confronter à ce qui doit mourir en nous pour créer cette passerelle indispensable pour trouver le sens de nos vies. En ce qui concerne Marina Tomé, la joie qui découle de cette quête n’a pas besoin de mots. Il suffit de regarder son sourire éblouissant à la fin du spectacle.   

  • La Lune en plein jour
  • Editions Dacres (Coll. Les Quinquets)
  • De Marina Tomé
  • Mise en scène : Anouche Setbon
  • Avec Marina Tomé
  • Crédit photos: Ludo Leleu
  • Durée : 1h 20
  • Jusqu’au 6 Avril les lundis à 20 h au Théâtre de la Huchette

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.



Pin It on Pinterest